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Revenu d’intégration sociale et ressources des ascendants majeurs cohabitants : prise en compte ?

commentaire de C. trav. Liège, 18 janvier 2012, R.G. 2009/AL/36.669 et 2010/AL/617

Mis en ligne le lundi 18 juin 2012


Cour du travail de Liège, 18 janvier 2012, R.G. n° 2009/AL/36.669 & 2010/AL/617

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Cour du travail de Liège examine les ressources des ascendants majeurs cohabitants à prendre en compte dans le cadre d’une demande de revenu d’intégration sociale, introduite par des étudiants majeurs.

Les faits

Deux étudiants (dernière année de l’enseignement secondaire) sollicitent le revenu d’intégration sociale. Ils cohabitent avec leurs parents et leur sœur mineure. Le père bénéficie d’allocations de chômage et la mère a un revenu de l’ordre de 250€ par mois. Elle est également attributaire des allocations familiales pour ses trois enfants. Le couple est propriétaire d’un immeuble dont la location produit un revenu de 280€ par mois.

Dans sa décision, le CPAS tient compte des revenus de la famille et accorde le RIS à concurrence d’un montant de l’ordre de 700€ par an, tenant compte des revenus du ménage, de l’ordre de 2.300€ par mois.

Une seconde décision est prise ultérieurement aux fins d’augmenter légèrement le montant du revenu d’intégration tenant compte de l’évolution de ceux-ci. Un recours est introduit devant le tribunal du travail contre ces décisions, une décision ultérieure n’étant pas attaquée.

Les étudiants poursuivent leurs études et, un an plus tard, le CPAS prend deux nouvelles décisions, refusant l’octroi du revenu d’intégration, au motif que les revenus du ménage dépassent le montant du RIS cohabitant attribué fictivement à chaque membre majeur (le calcul se faisant sur la base du nombre de personnes majeures (quatre) à multiplier par le montant du RIS cohabitant, montant qui aboutit à 23.225€, alors que les revenus du ménage sont de 23.400€). Un recours est également introduit contre cette décision.

Les étudiants quittent, en mai 2010, le domicile de leurs parents et logent dans un kot d’étudiant. Ils poursuivent fructueusement leurs études. Ils bénéficieront, en septembre 2010, d’un revenu d’un montant mensuel de l’ordre de 300€, chacun.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 16 octobre 2010, le tribunal joint les causes et déclare les recours non fondés, au motif que l’ensemble des ressources des père et mère doivent être pris en compte, en ce compris les allocations familiales perçues par la mère pour la fille mineure.

Position de parties devant la cour

Les demandeurs considèrent, en premier lieu, que les ressources des parents ne doivent pas nécessairement intervenir et que le CPAS, qui a décidé de les inclure, n’a pas motivé sa décision sur cette question, manquant ainsi à son obligation de motivation adéquate. Ils considèrent qu’en tout état de cause les allocations familiales sont exonérées et font valoir également d’autres éléments relatifs à la variabilité des ressources des parents depuis une période déterminée (étant l’absence de revenus locatifs).

Le CPAS considère que le calcul qu’il a effectué, dans sa dernière décision, est correct, vu l’ensemble des ressources à prendre en compte.

Décision de la cour du travail

La cour constate qu’elle est amenée à examiner plusieurs périodes litigieuses, vu les décisions successives prises et la variation des revenus correspondant à celles-ci.

Sur le plan des principes, elle reprend les conditions d’octroi telles qu’exigées par l’article 3 de la loi du 26 mai 2002 et considère qu’elles sont pour la plupart remplies, la cour précisant notamment que les intéressés sont dispensés de la condition de disposition au travail, vu la poursuite des études de plein exercice, qui constitue un motif d’équité. La seule question à régler est la condition posée par l’article 3, 4°, relative aux ressources : pour bénéficier du RIS, le demandeur ne doit pas disposer de ressources suffisantes ni être en mesure d’y prétendre ou de se les procurer soit par ses efforts personnels soit par d’autres moyens.

La cour relève qu’il appartient au Centre de calculer les ressources de la personne et que, en vertu de l’article 16 de la loi, les ressources des personnes avec lesquelles le demandeur cohabite peuvent également être prises en considération, dans les limites fixées par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres. Cette disposition a été exécutée par l’article 34 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002, qui distingue le partenaire de vie, conjoint ou compagnon, (dont les ressources doivent être prises en compte) et les ascendants ou descendants majeurs du premier degré cohabitants (dont les ressources peuvent l’être). Pour les autres cohabitants les ressources ne peuvent pas être retenues.

La question de la prise en compte des revenus des ascendants majeurs du premier degré cohabitants est laissée à l’appréciation du CPAS (et du juge), ce qui rend souhaitable, pour la cour, que la décision à cet égard soit motivée. La cour considère que, pour elle, c’est la prise en compte qui est le principe et la non-prise en compte l’exception. Celle-ci peut cependant être justifiée dans des circonstances tout à fait particulières.

Vu l’absence d’indications dans la loi et dans l’arrêté royal en ce qui concerne l’appréciation des ressources devant être retenues, la cour considère qu’il faut faire application des mêmes dispositions que celles relatives aux autres ressources, applicables au demandeur, étant les ressources exonérées (article 22), les revenus d’une activité professionnelle (articles 23 et 24), les revenus immobiliers (articles 25 et 26), les revenus mobiliers (article 27) et enfin l’impact de la cession de biens (articles 28 à 32). La cour précise que dans le calcul effectué au sens de l’article 34, § 2 de l’arrêté royal, il y a en effet attribution fictive à chaque ascendant majeur cohabitant d’un revenu d’intégration et que, pour le calcul de celui-ci, il faut prendre en compte les ressources de chacun des intéressés, et ce en fonction des dispositions ci-dessus, visées aux articles 22 à 32.

La cour procède, dès lors, à l’examen des divers revenus perçus par les parents. Elle exclut les allocations familiales, ces revenus étant exonérés, en vertu de l’article 22, § 1er, b). La cour souligne judicieusement que, si l’on prenait en compte des allocations familiales pour apprécier les revenus des cohabitants ascendants majeurs (allocations octroyées au profit d’un enfant mineur et dont les intéressés n’ont pas bénéficié), ceci aboutirait à la prise en compte des ressources d’un autre cohabitant (l’enfant bénéficiaire), ce qui est exclu par l’article 34, §.

Dans l’examen des revenus immobiliers, la cour procède d’abord à la division en deux de l’ensemble des paramètres à faire intervenir, les deux parents étant copropriétaires. Elle tient compte du prêt hypothécaire, dès lors que les intérêts y relatifs ont été payés et déduit les abattements admis sur le revenu cadastral. Il en découle que le revenu immobilier de chacun des parents est de 0€.

La cour va dès lors se livrer à un calcul méticuleux des ressources de chacun des deux parents, ressources qui auront fluctué durant l’ensemble de la période litigieuse. La cour ordonne la réouverture des débats, aux fins d’obtenir des éclaircissements sur certaines de celles-ci.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège confirme sa jurisprudence (voir C. trav. Liège, sect. Liège, 9 septembre 2009, RG 34.875/07), selon laquelle les ressources des ascendants majeurs cohabitants doivent être prises en compte, en principe, pour déterminer les ressources pour l’octroi du revenu d’intégration sociale. Pour la cour, la non-prise en compte est une exception et le CPAS doit être vigilant dans sa motivation, dans la mesure où les juridictions vont exercer un contrôle sur cette décision.

Il faut cependant relever que ni dans la loi, ni dans l’arrêté royal, il n’y a de précisions quant à une règle et une exception, le CPAS et le juge s’étant vu confier le soin de décider de la prise en compte ou non. Cette situation n’est pas exempte d’insécurité juridique.


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