Terralaboris asbl

Liquidation d’ASBL et majorations de cotisations ONSS : dettes dans la masse

Commentaire de C. trav. Mons, 7 mars 2012, R.G. 2010/AM/389

Mis en ligne le jeudi 14 juin 2012


Cour du travail de Mons, 7 mars 2012, R.G. n° 2010/AM/389

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 7 mars 2012, la Cour du travail de Mons rappelle que, en matière de cotisations ONSS, la majoration des cotisations est une sanction civile et qu’elle constitue une dette dans la masse.

Les faits

Une maison de repos, constituée sous forme d’ASBL est mise en liquidation en date du 27 avril 2005. Les liquidateurs procèdent aux notifications requises vu la nécessité de procéder au licenciement collectif du personnel, les licenciements ne pouvant être décidés qu’en septembre 2005. Dans la réalité, ce sera fin décembre 2005.

Les contrats de travail sont poursuivis temporairement. Les cotisations de sécurité sociale relatives à la période postérieure à la mise en liquidation ne sont pas payées aux échéances. L’ONSS entreprend dès lors plusieurs actions en justice, portant sur le principal, les majorations et intérêts.

Décision du tribunal

Par jugement du 24 septembre 2010, le Tribunal du travail de Tournai, statuant sur la nature des cotisations, considère qu’il s’agit de dettes dans la masse, les critères relatifs aux dettes de la masse n’étant pas remplis (étant que la dette doit être née postérieurement à la naissance du concours et qu’elle doit être intimement liée à l’accomplissement de la mission du gestionnaire de la liquidation).

Le tribunal condamne également aux majorations, considérant qu’il ne s’agit pas d’une clause pénale et faisant droit à la thèse de l’ONSS, qui plaidait le caractère hors concours des majorations.

Position des parties devant la cour

L’ASBL en liquidation considère que, s’agissant de dettes dans la masse, celles-ci ne sont pas susceptibles de majorations et qu’elles sont inopposables à la masse. Le défaut de paiement résulte de l’application des lois du concours et celles-ci s’imposent à l’ONSS. Pour l’ASBL, la solution contraire entraînerait potentiellement la rupture de l’égalité des créanciers. Elle fait également grief au tribunal d’avoir rejeté l’assimilation des cotisations à des clauses pénales et rappelle, devant la cour, les arguments qu’elle a fait valoir à cet égard étant non de demander que le juge se substitue à l’ONSS quant à la faculté dont il dispose de renoncer aux majorations, mais de statuer sur leur nature et de conclure à leur inopposabilité à la masse.

Quant à l’ONSS, il plaide, ainsi que l’a retenu le premier juge, que l’application de la majoration ne se situe pas dans un champ contractuel mais dans une matière d’ordre public et qu’elles sont dès lors réclamées en vertu de dispositions légales d’ordre public.

Décision de la cour

La cour rappelle que la matière des majorations (avec les intérêts de retard et les indemnités forfaitaires dus à l’ONSS) figure dans la loi du 27 juin 1969 sous l’intitulé de « sanctions civiles », caractère qui a été confirmé dans un arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 janvier 2003 (arrêt n° 9/2003). Le mécanisme légal prévoit que l’absence de paiement des cotisations dans le délai fixé entraîne une double sanction civile, étant une majoration et un intérêt de retard. Sur la nature des majorations, et les conséquences à en tirer, la cour relève que l’ONSS a accepté la position de l’ASBL, qui est de considérer que les dettes des 2e, 3e et 4e trimestres 2005 constituaient une dette dans la masse. Ce point n’est dès lors plus contesté.

Reste à trancher la question de savoir si les dettes dans la masse peuvent ou non être sujettes à majorations, l’appelante plaidant que le non-paiement a été dû non à sa faute mais à l’état de liquidation.

La cour rappelle le caractère discrétionnaire de la compétence de l’ONSS d’accorder aux employeurs l’exonération ou la réduction des indemnités forfaitaires, majorations et intérêts de retard. Ceci a d’ailleurs conduit la Cour de cassation à considérer dans un arrêt du 12 septembre 2005 (Chron. Dr. Soc., 2006, p. 267) que les employeurs ne peuvent faire valoir de droit subjectif à bénéficier de celle-ci, en totalité ou en partie. Vu ce caractère discrétionnaire, la compétence d’attribution des juridictions du travail (en vertu de l’article 580, 1° du Code judiciaire) ne peut porter sur l’appréciation de la décision discrétionnaire de l’ONSS quand à ces majorations et intérêts. Cette question est de la compétence du Conseil d’Etat. Il ne peut dès lors être conclu que, s’agissant d’une législation d’ordre public, l’application des sanctions civiles est automatique.

La cour considère, ensuite, devoir s’attacher plus en profondeur à la question de l’assimilation de la majoration de cotisations à une clause pénale. La cour rappelle l’article 1227 du Code civil, selon lequel la clause pénale est celle par laquelle les parties ont fixé, à l’avance et forfaitairement, les dommages et intérêts dus en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation contractuelle. Le caractère indemnitaire de la clause pénale s’est trouvé consacré par la loi du 23 novembre 1998 qui a modifié le Code civil. Les clauses pénales peuvent, en conséquence, être réduites par le juge et c’est la Cour de cassation qui a déterminé les limites du pouvoir du juge du fond, qui doit s’exercer en tenant compte du montant et du rapport avec le dommage prévisible. La cour considère cependant que l’on ne peut assimiler complètement les sanctions civiles de majorations avec les clauses pénales, et ce vu l’absence de pouvoir du juge de les réduire totalement ou en partie ou encore de réduire le pourcentage fixé par la loi.

Existe cependant, au dossier, un élément jugé essentiel par la cour pour permettre de donner aux majorations de cotisations le caractère de dettes dans la masse. Il s’agit de la procédure de licenciement collectif. La cour constate que la poursuite de l’exécution des contrats après la naissance du concours est due à la durée de la procédure de licenciement collectif et non à un engagement volontaire des liquidateurs de poursuivre l’activité. Aussi, la cour constate ne pas pouvoir suivre le premier juge qui a réservé un sort distinct aux majorations (hors concours) et aux cotisations (dettes dans la masse), dans la mesure où les majorations sanctionnent le retard de paiement des cotisations dans la masse. Il s’agit ainsi de l’accessoire de ces dernières et elles doivent présenter le même caractère. La cour retient encore que ces majorations ne remplissent pas les conditions requises pour être des dettes de la masse. Il y a dès lors une contradiction dans le jugement, qui a dénié la qualité de dettes dans la masse aux majorations litigieuses.

Le jugement est dès lors réformé sur cette question.

Intérêt de la décision

La question tranchée par la cour du travail dans cet arrêt se pose régulièrement, en cas de poursuite d’activités après la mise en liquidation. L’intérêt particulier de la décision est qu’elle dégage une solution cohérente entre les cotisations de sécurité sociale et leur accessoire (majorations), qui doit se voir reconnaître le même caractère, en l’occurrence, s’agissant de dettes dans la masse.


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