Terralaboris asbl

Prestations familiales garanties : champ d’application du règlement 1408/71 – Question préjudicielle à la C.J.U.E.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 janvier 2012, R.G. 2010/AB/897

Mis en ligne le mercredi 13 juin 2012


Cour du travail de Bruxelles, 19 janvier 2012, R.G. n° 2010/AB/897

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 19 janvier 2012, la Cour du travail de Bruxelles pose quatre questions à la C.J.U.E. concernant le champ d’application du règlement 1408/71 étendu par le règlement 859/2003 aux ressortissants d’Etats tiers.

Les faits

Une citoyenne de nationalité algérienne est bénéficiaire d’un titre de séjour (carte d’identité pour étrangers) depuis janvier 2006 (étant venue rejoindre en Belgique un français dont elle a eu un enfant, également de nationalité française).

Elle fait ultérieurement venir en Belgique sa fille, âgée de 13 ans et ayant la nationalité algérienne. Elle bénéficie d’allocations familiales au taux ordinaire pour les deux enfants, son compagnon étant salarié. La cohabitation prend fin l’année suivante, soit en 2007 et la mère dépend alors du CPAS. Tout en signalant qu’elle n’est plus compétente pour l’enfant de nationalité algérienne, la caisse d’allocations familiales continue à payer les allocations pour l’autre enfant. La mère introduit dès lors une demande de prestations familiales garanties pour l’enfant qui n’est plus bénéficiaire.

L’ONAFTS refuse l’octroi, au motif de la condition de résidence de cinq ans prévue à l’article 1er, alinéa 5 de la loi du 20 juillet 1971 instaurant des prestations familiales garanties. Il constate que la mère ne réside en Belgique que depuis deux ans. Il suggère d’introduire auprès du SPF sécurité sociale une demande de dérogation à cette condition d’octroi.

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail, considérant qu’elle peut bénéficier du règlement CE1408/71, étant qu’elle rentre dans le champ d’application ratione personae, vu qu’elle est en séjour légal (article 2) ou, à défaut, en vertu de la directive 2004/38. La demande de dérogation est également introduite auprès du SPF, qui la rejette.

Décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Bruxelles statue par jugement du 3 juillet 2008.

Il constate que l’intéressée a été autorisée à s’établir en Belgique en qualité de membre de la famille d’un citoyen européen. Elle doit dès lors être assimilée à un citoyen de l’U.E. et bénéficier du même traitement que les nationaux. Le jugement renvoie à l’arrêt Trojani du 7 septembre 2004 de la C.J.C.E. En conséquence, il condamne l’ONAFTS au paiement des prestations familiales garanties, à majorer des intérêts.

Position des parties devant la cour

L’ONAFTS fait valoir que le régime des prestations familiales garanties est un régime résiduaire soumis à des conditions restrictives et cumulatives. Il invoque la non-applicabilité de la jurisprudence Trojani (qui concerne un citoyen de l’U.E. et une prestation de sécurité sociale). Il considère également que la directive 2004/38 ne semble pas permettre qu’une personne non-citoyenne de l’U.E. qui rejoint un citoyen de l’U.E., soit assimilée à celui-ci.

Quant à l’intéressée, elle considère que, ressortissante d’un pays tiers venue rejoindre un ressortissant de l’U.E., elle bénéficie d’un titre de séjour lui permettant d’être dispensée de la condition de cinq ans de résidence au sens du règlement C.E. 1408/71. Bénéficiant d’un titre de séjour comme membre de la famille d’un citoyen de l’U.E., elle considère qu’elle n’a pas perdu ce droit du fait de la cessation de la cohabitation.

Elle fait encore valoir l’arrêt Chen de la C.J.C.E. du 19 octobre 2004 et, subsidiairement, invoque une discrimination eu égard aux dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’U.E. (article 20 et 21) et de la C.E.D.H. (article 14).

Décision de la Cour

La cour va dès lors rappeler le cadre légal, étant d’une part la réglementation belge et de l’autre le droit communautaire.

Sur le plan du droit belge, elle revient sur les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle (quatre arrêts : n° 83/95, 110/2006, 62/2009 et 48/2010). Il a découlé de ceux-ci que (i) il y a dispense de la condition de durée de résidence si l’attributaire est belge et que l’enfant réside en Belgique, (ii) la dispense de cette condition existe également si l’enfant est belge, réside en Belgique et que l’attributaire est en séjour légal (peu importe qu’il soit étranger) et (iii) il y a également dispense de la condition de résidence lorsque l’enfant est citoyen de l’U.E., réside en Belgique et que l’attributaire est en séjour légal (peu importe qu’il soit étranger). La mère demandant à être dispensée de la condition de résidence, la cour retient qu’il faut examiner les hypothèses visées à la catégorie 1° de l’article 1er de la loi du 20 juillet 1971, étant qu’il faut examiner si elle entre dans le champ d’application du règlement C.E. 1408/71.

Ceci amène la cour à reprendre les principes de droit communautaire.

Ni l’enfant, ni la mère ne bénéficient de la citoyenneté européenne.

Les droits des ressortissants des pays tiers qui résident régulièrement au sein de l’Espace Economique Européen doivent être examinés eu égard (vu l’époque des faits) à la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, qui tend à l’égalité de traitement entre les résidents de longue durée et les nationaux. La cour considère que, dans l’examen des droits de l’enfant aux prestations familiales garanties, la mère a intérêt à se prévaloir de l’application du règlement 1408/71 vu que ceci permettrait d’écarter la condition de cinq ans de résidence. C’est ce règlement qu’il faut prendre en compte, vu l’époque des faits, quoique ayant été remplacé le 1er mai 2010 par le règlement 883/2004 du 29 avril 2004.

Ce règlement (ainsi que son règlement d’application 574/2) a vu son champ d’application personnel élargi par un règlement 859/2003 aux ressortissants d’Etats tiers qui n’étaient pas couverts par les dispositions qu’il contenait, et ce uniquement en raison de leur nationalité. Des conditions sont cependant prévues pour ceux-ci, étant de résider dans l’Etat membre et de ne pas se trouver dans une situation purement interne.

Examinant la situation particulière qui lui est soumise, la cour constate qu’elle doute des conséquences à donner au droit de séjour autonome prévu par la directive 2004/38 C.E. En effet, la mère bénéficie d’un droit de séjour, originairement accordé pour rejoindre un citoyen français. Elle est en séjour légal mais ne cohabite plus avec celui-ci, n’étant ni l’épouse divorcée, ni l’épouse séparée d’un travailleur ressortissant de l’U.E. et n’ayant pas davantage été engagée dans le cadre d’un partenariat enregistré. La mère a un enfant de nationalité française à sa charge, de même que le second enfant, de nationalité algérienne, qui n’est pas l’enfant d’un citoyen européen et n’est pas davantage citoyen européen lui-même. Par ailleurs, elle bénéficie de l’aide sociale pour l’ensemble de sa famille et n’a pas été travailleuse en Belgique ni assimilée. Elle ne s’est pas déplacée au sein de l’Espace Economique Européen et réside en Belgique depuis moins de cinq ans. La cour se demande, dès lors, s’il s’agit d’une situation relevant de plusieurs Etats membres. Dans la négative, le règlement 859/2003 ne peut trouver à s’appliquer.

En conséquence, la cour décide de poser à la Cour de Justice de l’Union européenne quatre questions préjudicielles, dans lesquelles elle demande d’abord si l’intéressée entre dans le champ d’application personnel du règlement 1408/71 au titre de membre de la famille d’un travailleur ressortissant d’un Etat membre pour l’octroi, en tant qu’attributaire, de prestations familiales garanties au bénéfice d’un autre enfant ressortissant d’un pays tiers, et ce alors que la cohabitation avec le père de l’enfant a pris fin (question 1). La cour pose encore trois questions, en cas de réponse négative à cette première question, ainsi que, dans l’ordre, aux suivantes.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, qui statue dans le cadre d’un régime résiduaire et pour une période antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 883/2004 interroge la Cour de Justice de l’Union européenne sur l’application au cas d’espèce des dispositions du règlement 859/2003. La question essentielle posée par la cour du travail est de savoir si l’intéressée se trouve ou non dans une situation purement interne, ayant un enfant de nationalité française à sa charge, après la fin de la cohabitation avec son père de la même nationalité, et ce alors qu’elle-même ne s’est jamais déplacée dans l’Espace Economique Européen.


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