Terralaboris asbl

Principe ’non bis in idem’

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 novembre 2011, R.G. 2010/AB/607

Mis en ligne le lundi 23 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 24 novembre 2011, R.G. n° 2010/AB/607

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 novembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en cas de manquements distincts à ses obligations, un chômeur peut faire l’objet de sanctions différentes, ceci ne méconnaissant pas le principe ’non bis in idem’.

Les faits

Un demandeur d’emploi indemnisé fait l’objet d’une enquête au cours de laquelle il s’avère qu’il est inscrit auprès d’une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants en qualité de travailleur indépendant à titre complémentaire, et ce depuis cinq mois avant sa mise au chômage.

Entendu, il expose qu’il n’a perçu aucune rétribution de cette activité pendant qu’il était au chômage (n’ayant facturé qu’une fois pour la période antérieure) et qu’il n’avait aucune intention frauduleuse lorsqu’il n’a pas complété correctement le formulaire C1. Il produit ultérieurement le montant de la facture qui en réalité avait été établie pendant la période où l’intéressé bénéficiait d’allocations de chômage, et qui porte sur 150€.

L’ONEm prit une décision, en date du 25 mars 2008, l’excluant du bénéfice des allocations de chômage pendant 20 mois (application des articles 44, 45 et 71 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) et annonçant la récupération des allocations perçues (article 169). La décision contenait également deux mesures d’exclusion, étant (i) 8 semaines dont 5 semaines avec sursis, au motif qu’il n’avait pas noirci sa carte de contrôle avant le début d’une activité incompatible avec la perception d’allocations (articles 154 et 157bis, § 2) et 8 semaines pour omission de déclaration (article 153).

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles considéra par jugement du 21 mai 2010 qu’il y avait lieu à annulation de la première sanction et réduction de la seconde à 4 semaines.

Pour le tribunal, une personne n’exerçant aucune activité professionnelle, c’est-à-dire régulière et habituelle, ne peut être assujetti au statut social des travailleurs indépendants et la seule déclaration d’affiliation ne peut suffire à justifier un tel assujettissement lorsqu’aucune activité n’est réellement exercée. Le tribunal relève cependant le flou des explications relatives à l’activité en cause et conclut que l’intéressé n’établit pas ne pas avoir exercé celle-ci. La décision est dès lors confirmée en ce qui concerne la récupération.

Sur la sanction, le tribunal considère que les comportements reprochés constituent l’expression d’un concours idéal d’infraction ou, à tout le moins, d’un délit collectif par unité d’intention. Il retient dès lors une seule sanction, étant la plus forte, annulant ainsi la première (de 8 semaines dont 5 avec sursis). Il réduit à 4 semaines la sanction maintenue.

Position des parties en appel

L’intéressé interjette appel, faisant valoir que son activité s’est limitée à une seule journée de travail et qu’il n’y a pas exercice d’une activité au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal. Il sollicite dès lors la réformation du jugement, considérant que la récupération ne peut porter que sur une seule journée. Il conteste également la sanction retenue par le tribunal sur pied de l’article 153, considérant qu’il s’agissait d’une activité occasionnelle et qu’elle n’était donc pas soumise à déclaration préalable. Pour la seconde sanction, il sollicite qu’elle soit limitée à un avertissement ou réduite au minimum légal d’une semaine.

Quant à l’ONEm, il rappelle l’absence en l’espèce de la déclaration préalable obligatoire en cas d’exercice d’une activité indépendante et fait grief à l’appelant de n’avoir déclaré qu’a postériori qu’il s’agissait d’une activité occasionnelle et qui ne devait dès lors pas faire l’objet d’une déclaration. Il rappelle plusieurs décisions de jurisprudence qui ont considéré non probantes la production de quelques factures ou d’attestations qui tenteraient d’établir qu’une activité indépendante n’aurait été que peu exercée, et ce vu notamment la méfiance engendrée par l’absence de respect par l’intéressé de ses obligations en matière de déclaration. Il considère qu’il n’y a pas bonne foi, celle-ci impliquant nécessairement que le chômeur effectue les déclarations légalement requises dans les délais requis pour permettre à l’ONEm d’apprécier ses droits. Or en l’espèce c’est un croisement des banques de données qui a permis d’avoir connaissance de l’activité de l’intéressé. L’ONEm demande en conséquence de rétablir les deux sanctions.

Décision de la cour du travail

La cour confirme l’appréciation du premier juge en ce qui concerne le fait que l’intéressé n’apporte pas la preuve de l’absence d’activité. Sur les sanctions, elle considère cependant devoir réformer le jugement, au motif qu’il y a deux manquements distincts ayant fait l’objet, chacun, d’une sanction. Elle rappelle la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 11 octobre 2006, R.G. 19.405), selon laquelle en cas de contestation d’une décision administrative contenant plusieurs sanctions, le juge doit vérifier si celles-ci concernent des faits distincts engendrant plusieurs sanctions au sens de la réglementation ou si au contraire il s’agit d’un même fait répréhensible auquel l’ONEm donne des qualifications différentes. S’il y a deux sanctions administratives pour deux manquements distincts, il n’y a pas méconnaissance du principe non bis in idem.

La cour rappelle qu’il s’agit d’un principe général de droit consacré par le Protocole n° 7 (article 4) à la Convention européenne des droits de l’homme (dont elle précise cependant qu’il est signé mais non encore ratifié par la Belgique) et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 14, § 7). Elle renvoie également à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 11 août 2010, R.G. n° 2002/AB/43540), qui se réfère à la jurisprudence de la C.E.D.H. en son arrêt Zolotoukhine du 10 février 2009), selon lequel une sanction pour une infraction pénale et une sanction administrative à caractère pénal contenue dans la réglementation chômage ne peuvent être cumulées lorsqu’elles procèdent de ’faits’ identiques.

Pour la cour du travail, l’ONEm pouvait dès lors prononcer deux sanctions différentes. En l’espèce elle rétablit la première sanction (article 154) et restaure également la seconde en ce qu’elle exclut l’intéressé pendant 8 semaines (article 153).

Intérêt de la décision

Cet arrêt présente, sur la question des sanctions, un intérêt évident, puisqu’il rappelle que le principe non bis in idem est un principe général de droit. Il fait cependant très judicieusement la distinction entre les faits à la base de la sanction et la sanction administrative elle-même. En l’espèce, il s’agit effectivement de comportements différents, pour lesquels il ne suit pas le raisonnement du tribunal, selon lequel il y a un concours idéal d’infraction, du moins délit collectif par unité d’intention. Deux solutions opposées donc.


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