Terralaboris asbl

Licenciement abusif de l’ouvrier : qu’entend-on par « nécessités de fonctionnement de l’entreprise » ?

Commentaire de C. trav. Mons, 25 novembre 2011, R.G. 2010/AM/301

Mis en ligne le vendredi 24 février 2012


Cour du travail de Mons, 25 novembre 2011, R.G. n° 2010/AM/301

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 25 novembre 2011, la Cour du travail de Mons rappelle les règles en matière de contrôle du caractère abusif du licenciement d’un ouvrier : notion de nécessités de fonctionnement de l’entreprise et règles en matière de preuve.

Les faits

Une société du secteur de la construction (isolation) licencie un ouvrier en octobre 2008.

Elle fait état de circonstances économiques défavorables ayant touché son secteur d’activité dans le courant de cette année. Elle fait valoir qu’elle aurait été contrainte, ainsi, de procéder au licenciement de plusieurs travailleurs.

Décision du tribunal

Suite au recours introduit par le travailleur, faisant valoir que son licenciement est abusif sur la base de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, le Tribunal du travail de Charleroi rend un jugement le 14 juin 2010, concluant au bien-fondé de la demande. Pour le tribunal, le motif invoqué n’est pas établi.

Décision de la Cour

La cour est saisie de l’appel de la société, qui maintient qu’elle satisfait aux exigences de preuve et que le motif est un motif autorisé par la loi.

La cour va répondre, dans cet arrêt, essentiellement en droit.

Elle rappelle, en premier lieu, les termes de l’article 63, qui considère comme abusif le licenciement d’un ouvrier engagé dans le cadre d’un contrat conclu pour une durée indéterminée, dès lors que le licenciement est effectué pour des motifs qui n’ont aucun lien avec son aptitude ou sa conduite ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise (de l’établissement ou du service). La charge de la preuve incombe à l’employeur.

La cour rappelle que c’est dans un souci de protéger les ouvriers - vu la brièveté des délais de préavis - contre des risques de licenciement dépassant les limites de l’usage normal de ce droit que la Cour de cassation a rappelé que le licenciement intervenant pour des motifs visés ci-dessus, notamment pour des motifs qui ont un lien avec la conduite de l’ouvrier, n’est pas abusif et ce même si le comportement incriminé n’est ni constitutif de motif grave ni critiquable ni fautif ni même déraisonnable.

Elle se penche plus particulièrement sur l’appréciation des motifs économiques, puisque ceux-ci sont visés en l’espèce. Après avoir précisé que, dans cette hypothèse, la loi vise le licenciement fondé sur ces nécessités (et non lié à celles-ci – terme utilisé pour les motifs d’aptitude et de conduite), la cour rappelle que cette notion n’a pas été définie par la législateur et que les travaux préparatoires sont peu explicites. En recourant au terme « nécessités de fonctionnement », la loi permet en tout cas d’écarter toute circonstance relevant d’une simple commodité de l’employeur et qui ne serait pas indispensable à l’entreprise. Ceci signifie également que lesdites circonstances doivent être contemporaines au licenciement.

Reprenant l’acception courante du terme, la cour rappelle qu’une nécessité se définit par référence à ce qui est nécessaire, c’est-à-dire ce qui rend seul possible une fin ou un effet, ce qui est exigé afin que quelque chose arrive.

Par ailleurs, en ce qui concerne le régime probatoire, la cour le qualifie de « mécanisme d’inversion » de la charge de la preuve et de l’objet de celle-ci.

Selon celui-ci, l’ouvrier n’a pas la charge de la preuve de ses allégations mais celles-ci font naître dans le chef de l’employeur l’obligation de démontrer l’absence de caractère abusif du licenciement, et ce parce qu’il est justifié par une des circonstances limitativement énumérées à la disposition légale.

La cour rappelle judicieusement l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1988 (J.T.T., 1989, p.6) rendu en matière de charge de la preuve dans le cadre de l’article 63. La Cour suprême y avait considéré que le juge n’est pas tenu de ne tenir compte que des motifs indiqués et établis par l’employeur. Il peut également fonder sa décision sur d’autres éléments produits régulièrement qui, bien que l’employeur ne les ait pas proposés comme motif, ont également déterminé le licenciement, et ce d’après l’avis du juge. Le mécanisme légal n’implique pas, par ailleurs, que les motifs énoncés lors de la rupture - et que l’employeur doit prouver - sont les seuls pouvant être invoqués. Les motifs réels peuvent apparaître plus tard, au moment par exemple où, confronté à une demande d’indemnité, l’employeur doit justifier de ceux-ci. Cependant, la loi contient une énumération limitative des hypothèses dans lesquelles le licenciement abusif sera exclu.

En l’espèce, la cour constate que l’employeur invoque des circonstances économiques défavorables et qu’il fait valoir l’incidence de celles-ci sur son secteur d’activité pendant l’année du licenciement, situation qui aurait abouti au licenciement d’autres travailleurs.
L’objet de la preuve à rapporter par la société est donc – et la cour insiste sur le fait qu’il doit s’agir d’une preuve concrète et certaine – l’existence de circonstances spécifiques susceptibles de mettre en péril la survie de l’entreprise s’il n’avait pas été mis fin au contrat litigieux.

La preuve a un double volet : (i) obligation de démontrer l’existence des circonstances économiques invoquées (matérialité des faits qui impliquaient le licenciement) et (ii) lien de causalité avec le contrat de travail du travailleur concerné.

La cour va ainsi examiner les pièces produites et constater à l’examen de celles-ci (pièces comptables, comptes individuels) que les explications de la société sont infirmées par les éléments déposés, qui établissent, au contraire, un accroissement du chiffre d’affaires, la stabilité du nombre de travailleurs occupés et même la prestation de nombreuses heures supplémentaires (en ce compris par le travailleur licencié), tous facteurs démentant l’existence d’une récession économique.

La présomption légale n’est dès lors pas renversée.

Intérêt de la décision

C’est par une exigence de preuve certaine et formelle que la cour du travail fait, dans cet arrêt, une application stricte de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.
L’on relèvera, cependant, à propos des motifs liés à la conduite du travailleur, les très importants arrêts rendus par la Cour de cassation les 27 septembre 2010 (S.09.0088.F) et 22 novembre 2010 (S.09.0092.N). La Cour de cassation a consacré le principe du contrôle du motif valable de licenciement.


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