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Personnes handicapées de nationalité étrangère : la Cour constitutionnelle interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 octobre 2011, R.G. 2010/AB/999

Mis en ligne le jeudi 23 février 2012


Cour du travail de Bruxelles, 3 octobre 2011, R.G. n° 2010/AB/999

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 octobre 2011, la Cour du travail de Bruxelles pose plusieurs questions à la Cour constitutionnelle, à propos de l’article 4 de la loi du 27 février 1987, relatif à la condition de nationalité dans le régime des allocations aux personnes handicapées.

Les faits

L’Etat belge refuse l’octroi d’une allocation de remplacement de revenus et d’une allocation d’intégration à une personne de nationalité albanaise, et ce sur la base de l’article 4, § 1er de la loi du 27 février 1987. Un recours est introduit, contre cette décision et contre une autre relative à la réduction d’autonomie.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles ordonne dans un premier temps une expertise médicale, et ce afin de pouvoir statuer sur le droit aux allocations et aux avantages sociaux et fiscaux.

Après l’expertise, le tribunal va constater que les conditions médicales et de revenus sont remplies afin de bénéficier de l’allocation de remplacement de revenus et de l’allocation d’intégration. Sur la condition de nationalité, il retient que celle-ci fait obstacle à l’octroi d’allocations pendant une période de quinze mois (pendant laquelle le droit au séjour était limité dans le temps). La condition de nationalité est cependant écartée pour la période couverte par un droit de séjour à durée illimitée.

Le tribunal condamne l’Etat belge au paiement des allocations.

L’Etat belge interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour constate qu’elle est saisie d’un litige portant essentiellement sur la condition de nationalité en ce qui concerne l’octroi des deux allocations.

La cour reprend les éléments de fait : l’intéressée est arrivé en Belgique en 2000 et une demande de régularisation de séjour a été introduite en 2002 pour elle, son mari et son fils. A partir de 2007, une autorisation de séjour a été accordée pour une durée d’un an, autorisation renouvelable. En juin 2008, le séjour a été autorisé pour une durée illimitée. Pour la cour, l’octroi de l’autorisation suppose que l’on ait admis que l’intéressée souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant (absence de traitement adéquat dans son pays d’origine). Il s’agit des hypothèses où est retenue une impossibilité absolue de quitter la Belgique pour des raisons médicales.

La cour conclut qu’il y a des attaches fortes et durables avec la Belgique.

En conséquence, la question posée est d’ordre strictement juridique et la discussion concerne l’article 4, § 1er et 2 de la loi du 27 février 1987 relative aux personnes handicapées. Celui-ci détermine les conditions de résidence et de nationalité auxquels un individu doit répondre, aux fins de bénéficier des allocations. Les catégories visées sont encore élargies par l’article 1er de l’arrêté royal du 17 juillet 2006 exécutant l’article 4, § 2 de la loi (qui confère au Roi le pouvoir d’étendre son application à d’autres catégories de personnes que celles énumérées) mais des textes internationaux sont également applicables, à savoir la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont la cour rappelle l’article 14 et l’article 1er du 1er Protocole additionnel. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne qui a posé le principe que le droit aux allocations aux personnes handicapées est un droit patrimonial protégé par l’article 1er du 1er Protocole additionnel. La règle de non-discrimination (article 14 de la Convention) doit trouver à s’appliquer à ce type d’allocation.

Par ailleurs, a été adoptée à New-York le 13 décembre 2006 la Convention relative aux droits des personnes handicapées et celle-ci a fait l’objet d’une loi d’assentiment du 13 mai 2009, entrant ainsi en vigueur le 1er août 2009. Dans les principes qu’elle énonce, cette Convention édicte que les Etats reconnaissent le droit des personnes handicapées à la protection sociale et à la jouissance de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap. Ils doivent également prendre des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit et notamment assurer aux personnes handicapées et à leur famille, lorsque celles-ci vivent dans la pauvreté, l’accès à l’aide publique pour couvrir les frais liés au handicap.

Enfin, la Constitution contient des principes fondamentaux applicables ici : interdiction de discrimination, droit des étrangers se trouvant sur le territoire à jouir de la protection accordée aux personnes et aux biens (sauf exceptions établies par la loi), interdiction de priver quelqu’un de sa propriété et droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

La cour constate dès lors que la question posée est de savoir si l’exclusion de l’intéressée du bénéfice des allocations aux personnes handicapées, alors qu’elle est autorisée au séjour illimité, a des attaches fortes et durables avec la Belgique et se trouve dans l’impossibilité absolue de rentrer dans son pays d’origine pour raisons médicales, est discriminatoire au sens de l’ensemble des dispositions ci-dessus.

Les catégories d’étrangers énumérées à l’article 4, § 1er de la loi du 27 février 1987 – catégories élargies par l’arrêté royal du 17 juillet 2006 – aboutit en effet à traiter différemment les personnes de nationalité étrangère selon la catégorie à laquelle elles appartiennent (visées ou non par les nationalités admises dans les textes) alors que leurs besoins d’assistance, d’autonomie et d’intégration sont comparables.

S’agissant du contrôle de conformité de la loi avec une autre source de droit supérieur, la cour relève que, s’il s’agit d’une Convention internationale (en l’occurrence la Convention de sauvegarde des droits de l’homme), ce contrôle relève de sa compétence alors que, s’il s’agit de conformité avec la Constitution, c’est la Cour constitutionnelle qui dispose d’une compétence exclusive sur la question.

En outre, dès lors qu’est invoquée une violation d’un droit fondamental garanti par la Constitution et par une Convention internationale, le juge est tenu de se tourner en premier lieu vers la Cour constitutionnelle et de lui poser la question préjudicielle sur la compatibilité avec la Constitution.

La cour se livre encore à des réflexions très fouillées sur la protection contenue à l’article 16 de la Constitution par rapport au droit protégé à l’article 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde et conclut à la nécessité d’interroger la Cour constitutionnelle.

Elle rappelle que celle-ci a rendu un arrêt le 19 mai 2004 (n° 92/2004) sur l’exclusion du bénéfice des allocations aux personnes handicapées eu égard à la nationalité. Dans cette affaire, n’a cependant pas été posée la question du séjour autorisé pour une durée illimitée, élément que la cour du travail retient comme important pour apprécier les liens existant entre la personne et la Belgique.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est déterminant, sur la question de la nationalité, dans la mesure où les catégories d’étrangers admises au bénéfice de la protection légale sont, il faut bien le reconnaître, restreintes, les nationalités autorisées étant les ressortissants du Maroc, d’Algérie ou de la Tunisie (sous certaines conditions) et ceux de l’E.E.E.

De manière générale, en plus de ceux-ci, sont visés les apatrides, les réfugiés, ainsi que certains conjoints, cohabitants légaux et autres membres de la famille.

En ce qui concerne les autres étrangers, ceux-ci doivent être inscrits au registre de la population, l’inscription au registre des étrangers n’étant pas retenue.


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