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Principe de bonne administration et obligation d’instruire les procédures dans un délai raisonnable : conséquences en cas de violation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.502

Mis en ligne le mardi 21 février 2012


Cour du travail de Bruxelles, 7 septembre 2011, R.G. 2009/AB/52.502

Dans un arrêt du 7 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la définition du principe de bonne administration ainsi que les obligations figurant à l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, disposition applicable aux contestations en sécurité sociale.

Les faits

Une société engage un premier travailleur en janvier 1987. Elle fait alors application des dispositions permettant d’obtenir une réduction des cotisations sociales. Deux avis rectificatifs sont notifiés par l’ONSS en 1993.

Le jugement du tribunal du travail n’interviendra que le 21 mai 2008.

La décision du tribunal

Le tribunal considère qu’une partie de la demande est prescrite. Pour le surplus, il conclut que la réduction des cotisations de sécurité sociale n’est subordonnée qu’à une condition, étant que l’engagement du travailleur entraîne une augmentation de la masse salariale. En l’occurrence, s’agissant d’un premier travailleur, la condition est remplie.

Les arrêts de la cour du travail

Suite à l’appel de l’ONSS, la cour du travail rend un premier arrêt le 12 janvier 2011, constatant qu’en vertu du mécanisme légal, la thèse de l’O.N.S.S. devait être suivie : la réduction ne pouvait en effet dépasser les cotisations sociales dues sur le revenu minimum mensuel moyen et, à partir de 1991, elle aurait dû être ramenée progressivement à 50% et, ensuite, à 25% de son montant maximum. La cour a cependant prononcé la réouverture des débats afin que les parties s’expliquent sur le principe de bonne administration, que la société considérait avoir été violé.

Dans son arrêt du 7 septembre 2011, la cour est ainsi amenée à reprendre les principes en la matière, étant le principe de bonne administration, celui de confiance (ou sécurité juridique) et celui du délai raisonnable.

Le droit à la sécurité juridique contient une composante qualifiée de confiance légitime dans l’administration et celle-ci a été définie par la Cour de cassation (Cass., 29 novembre 2004, J.T.T., 2005, p. 104) comme impliquant notamment que le citoyen doit pouvoir faire confiance à ce qu’il ne peut concevoir autrement que comme une règle fixe de conduite et d’administration, en vertu de quoi les services publics sont tenus d’honorer les prévisions justifiées qu’ils ont fait naître en son chef.

Le principe de confiance a également été défini dans la jurisprudence du Conseil d’Etat (la cour se référant notamment à C.E. (ass. gen.), 6 février 2001, n° 93.103, Missorten) et à la doctrine administrative. Celle-ci relève qu’il est généralement admis que trois conditions doivent être réunies pour que le principe trouve à s’appliquer : (i) erreur de l’administration, (ii) attente légitimement suscitée à la suite de cette erreur et (iii) absence d’un motif grave permettant de revenir sur cette reconnaissance.

A ceci, s’ajoute l’obligation pour l’administration d’agir avec une certaine célérité, et ce même en l’absence de délai fixé par la réglementation : il faut statuer dans un délai raisonnable. La durée de celui-ci s’apprécie sur la base de la complexité de l’affaire, ainsi que des recherches nécessaires et de l’urgence.

La cour rappelle que l’exigence de statuer dans un délai raisonnable est une application du principe du délai raisonnable.

De l’ensemble de ces principes, découlent des conséquences en cas de dommage causé. La cour rappelle ici que ce qu’il faut réparer concerne les conséquences en lien causal avec la faute et que ne donne ainsi lieu à réparation que le dommage qui n’eut pu se produire tel qu’il s’est réalisé si la faute n’avait pas été commise. C’est la jurisprudence constante de la Cour de cassation et la cour du travail la rappelle.

Ainsi, même si le principe de bonne administration n’est pas respecté, il n’empêche que la dette de cotisations existe, celle-ci ayant malgré tout été due, même si l’administration avait agi plus vite ou n’avait pas trompé la confiance légitime du débiteur.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate que l’Office n’a pas commis d’erreur dans l’application de la réglementation. Il y a seulement eu retard dans l’application des pourcentages exacts de cotisations de sécurité sociale.

Ce retard est cependant qualifié d’injustifiable et la cour retient que, même si à l’époque il n’y avait pas automatisation des contrôles, la rectification eut dû intervenir pour la fin de l’année en cours. Il y a en conséquence dépassement du délai raisonnable à la fin de celle-ci.

La société exposant qu’elle aurait mis plus tôt fin au contrat de travail si elle avait été dûment informée quant à cette question de réduction, la cour du travail analyse la situation en fait : l’employée n’a pas été remplacée après son décès (intervenu peu après l’engagement) et, malgré ces circonstances toutes particulières, la cour constate que, du fait de l’absence de remplacement, le poste n’était pas indispensable, la travailleuse ayant pu par conséquent être licenciée à la fin du premier trimestre de l’année qui suivait.

Pour la cour, le dommage en lien causal avec le dépassement du délai raisonnable est identifié comme étant les cotisations et accessoires relatifs à la période qui a suivi cette échéance. La cour considère dès lors qu’il y a lieu de compenser les sommes normalement dues et celles découlant du dommage réparable. En conséquence, les montants dus sont limités à la fin du dernier trimestre de l’exercice au cours duquel la rectification aurait dû intervenir et le premier trimestre de l’exercice suivant (qui aurait pu correspondre au préavis).

Enfin, la cour se prononce également sur un moyen tiré de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, relatif au délai raisonnable. Après avoir rappelé que celui-ci est applicable aux contestations en matière de sécurité sociale, la cour reprend les critères retenus par la jurisprudence de la C.E.D.H., étant que le caractère raisonnable d’une procédure s’apprécie suivant la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, ainsi que, enfin, l’enjeu du litige pour les parties.

Ainsi, le recouvrement de cotisations sociales dues par un indépendant (belge) ayant duré 22 ans, la Cour européenne a considéré que les limites du délai raisonnable étaient dépassées, et ce même si le requérant avait lui-même sollicité à plusieurs reprises le report de l’affaire (arrêt POELMANS, 3 février 2009). Pour la cour du travail, même si le défendeur reste maître de son système de défense et que, dans celui-ci, il ne pourra se voir opposer le dépassement du délai raisonnable au motif qu’il n’aurait pas diligenté l’affaire, la position d’un organisme public chargé de la perception de cotisations sociales est différente et celui-ci doit agir avec un minimum de diligence. En l’occurrence, 13 ans ont été nécessaires pour répondre à des conclusions de la société et, pendant cette période, la cour décide de suspendre le cours des intérêts.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles contient deux enseignements, étant qu’elle détermine le dommage en lien causal avec le dépassement du délai raisonnable, et ce eu égard aux circonstances concrètes du cas d’espèce, et que, par ailleurs, elle retient l’enseignement de la Cour européenne des Droits de l’Homme par rapport au même concept pour la partie de la dette fondée en son principe.


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