Terralaboris asbl

Indemnités de mutuelle et récupération d’indu : règle de prescription en présence de manœuvres frauduleuses

Commentaire de C. trav. Mons, 5 octobre 2011, R.G. 2004/AM/19.038

Mis en ligne le mardi 24 janvier 2012


Cour du travail de Mons, 5 octobre 2011, R.G. n° 2004/AM/19.038

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 octobre 2011, la Cour du travail de Mons rappelle ce qu’il faut entendre par « manœuvres frauduleuses » en sécurité sociale et particulièrement au sens de la réglementation en matière de soins de santé et indemnités.

Les faits

Un assuré social est en incapacité de travail et demande l’autorisation au médecin-conseil de son organisme assureur d’exercer une activité, ce qui lui est accordé. Il est ainsi occupé à temps partiel au service d’une asbl pendant près de trois ans, période suite à laquelle il est licencié vu la restructuration de l’entreprise. Il conclut deux ans plus tard un nouveau contrat de travail avec une autre asbl, et ce toujours pour un mi-temps mais n’en avise pas l’organisme assureur. Suite à un accident de travail survenu dans le cours de l’exécution de ce contrat, l’assureur-loi de l’employeur informe la mutuelle d’une période d’incapacité temporaire d’un an. L’organisme assureur se retourne dès lors contre son affilié demandant un remboursement de près de 50.000€, correspondant à des indemnités d’incapacité indûment versées, vu la reprise de l’activité professionnelle.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

L’organisme assureur invite, dans le même temps, l’intéressé à fournir divers documents afin de régulariser sa situation auprès de l’INAMI et de tenter d’éviter le remboursement. Deux courriers de rappel lui sont adressés mais il n’y réserve aucune suite.

En fin de compte, l’organisme assureur dépose un recours également auprès du tribunal du travail de Charleroi, afin d’obtenir un titre exécutoire en vue de la récupération du montant précité.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal joint les recours, ordonne une expertise médicale pour vérifier la capacité de gain de l’intéressé aux fins de revoir éventuellement sa situation au regard des articles 101 et 102 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Position des parties en appel

L’organisme assureur interjette appel du jugement, considérant qu’il n’y a pas lieu de procéder à une désignation d’expert, la question posée au tribunal portant sur le fondement de l’indu et sur les manœuvres frauduleuses utilisées. L’article 101, alinéa 3 de la loi coordonnée doit, pour la mutuelle, être considéré comme inapplicable dès lors qu’il y intention frauduleuse et que la situation ne peut pas être revue dans les cas considérés comme dignes d’intérêt. Pour l’organisme assureur, la totalité des indemnités d’incapacité de travail doit être remboursée, et ce pour la période entière d’occupation au service de la seconde asbl vu l’absence d’autorisation.

Quant à l’intimé, il fait valoir la première autorisation obtenue. Il se repose sur des conseils qui lui auraient été donnés au service du personnel de son second employeur, selon lesquels il n’y avait plus de démarches à accomplir auprès de la mutuelle pour le second engagement. Il plaide également le caractère quasi similaire de l’activité exercée et conteste s’être rendu coupable de manœuvres frauduleuses. Il demande dès lors le bénéfice de la prescription de deux ans et la limitation de l’indu à celle-ci. Il demande en outre à bénéficier des dispositions de la loi permettant de considérer que la dispense de remboursement doit intervenir au motif d’un cas digne d’intérêt, et ce notamment eu égard à sa situation particulièrement précaire tant sur le plan médical que financier.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les principes en matière d’activité autorisée pendant la période d’incapacité de travail. La cessation d’activité vise non seulement l’activité professionnelle principale ou accessoire mais même une activité de type non professionnel pour laquelle le titulaire ne reçoit pas de rémunération ou de revenu en espèces mais ne fait que l’économie de dépenses. C’est l’enseignement de la Cour de cassation (et la cour rappelle l’arrêt du 21 janv. 1982, Bull. 1982, p.651 – cet arrêt statuant dans le cas d’un assuré social qui avait fait des travaux de construction à son habitation, avec des membres de sa famille).

Il est mis fin à l’incapacité de travail par la reprise du travail, c’est-à-dire une reprise de travail salarié ou non (la cour renvoyant à Cass., 19 oct. 1992, Chron. D.S., 1993, p.64) si ce travail entre dans la notion d’activité, c’est-à-dire d’occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui. La cour insiste encore, en renvoyant à de la jurisprudence de fond, sur le fait qu’il est indifférent que l’activité en cause ait un caractère occasionnel ou même encore exceptionnel. Est en réalité couverte toute activité à caractère productif effectuée dans le cadre de relations sociales, soit dans le sens le plus large.

Par exception à ces principes, l’article 101 de la loi coordonnée permet en cas de capacité réduite d’au moins 50% de limiter la récupération de l’indemnité versée indûment dès lors que l’autorisation préalable n’a pas été sollicitée et que le travail exercé est compatible avec l’état de santé aux seules journées au cours desquelles l’activité non autorisée a été exercée.

La cour va dès lors examiner les éléments qui lui sont soumis, étant que la première demande d’autorisation portait sur une activité d’ouvrier autorisée pour dix jours par mois, celle-ci étant par ailleurs soumise au respect d’une obligation bien définie, étant la remise de documents permettant de vérifier à la fois la rémunération perçue, la période du travail et l’absence d’autres activités (déclaration sur l’honneur).

Même si l’intéressé fait valoir qu’il pensait être dispensé de l’obligation de solliciter une deuxième autorisation, la cour constate que, même si tel était le cas, il n’en demeure pas moins qu’il a omis de continuer à produire les éléments ci-dessus et que l’obligation de les remettre lui était connue, cette obligation ayant d’ailleurs été respectée pendant l’occupation chez le premier employeur.

La cour en déduit que c’est sciemment que les obligations en cause n’ont plus été respectées pour la deuxième occupation et qu’il faut dès lors examiner s’il y a manœuvre frauduleuse. Pour la cour, qui rappelle la doctrine (J.-F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, Ed. De Boeck, 2006, pp.73 et 74), il faut une volonté de tromper en vue d’obtenir un avantage auquel l’on n’a pas droit et l’on NE peut assimiler à ceci la simple méconnaissance de la loi, ainsi que le seul fait de ne pas procéder à une déclaration même si celle-ci est imposée par la loi.

C’est également l’enseignement de la Cour de cassation (la cour du travail renvoyant notamment à Cass., 4 décembre 2006, RG n° S.050071.F). Elle donne également sa propre définition des manœuvres frauduleuses, étant tout agissement malhonnête réalisé malicieusement en vue de tromper l’organisme assureur pour son propre profit, CECI pouvant aussi bien consister en des actes positifs qu’en des abstentions ou attitudes passives.

Dès lors qu’est constaté le fait qu’il n’a pas continué à communiquer les informations, il y a défaut de respect par l’intéressé des conditions définies avec son organisme assureur et ceci ne peut s’expliquer, pour la cour, que par la volonté de celer sciemment sa nouvelle activité professionnelle. La cour relève également que celle-ci ne se limitait plus à 10 journées d’activité par mois comme précédemment.

En conséquence, le délai de prescription applicable est fixé à cinq ans.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Mons rappelle les nuances à retenir dans les comportements : la simple méconnaissance de la loi n’est pas assimilée à des manœuvres, non plus que l’absence d’une déclaration (même obligatoire) : il faut la volonté de tromper. Cette volonté peut découler de la constatation que l’assuré social a sciemment celé des faits et en l’occurrence l’exercice d’une activité.


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