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Evaluation du délai de préavis de l’employé : prise en compte des manquements éventuels du travailleur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2011, R.G. 2010/AB/486

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2012


Cour du travail de Bruxelles, 7 septembre 2011, R.G. 2010/AB/486

Dans un arrêt du 7 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il est de jurisprudence constante que, dans l’évaluation du délai de préavis de l’employé, les manquements éventuels de celui-ci ne doivent pas intervenir, dans la mesure où ils ne sont pas susceptibles d’influencer le temps théorique nécessaire à l’employé pour retrouver un emploi adéquat et équivalent.

Les faits

Un employé est engagé en tant qu’inspecteur dans une société de nettoyage en 1998. Interviennent des rachats successifs de la société employeur. L’employé devient chef d’exploitation pour un client important, conservant son ancienneté.

Il est cependant licencié en 2007 avec une indemnité compensatoire de préavis de 3 mois, au motif qu’il ne conviendrait plus.

Un complément d’indemnité de rupture est demandé. La société dépose alors plainte au pénal avec constitution de partie civile, au motif de détournements organisés par l’employé. Suite au dépôt de cette plainte, susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’existence d’une faute lourde au sens de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, les parties sont en désaccord sur la nécessité de surseoir ou non à statuer sur le complément d’indemnité compensatoire de préavis sollicité.

Position du tribunal

Le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2009 (Cass., 3 avril 2009, C.08.0111.N), selon lequel, pour qu’il y ait lieu à suspension de l’action civile, il faut que la solution de l’action publique conditionne celle du litige civil.

Le tribunal relève qu’en l’occurrence, il est saisi d’une demande d’indemnité compensatoire de préavis et non d’un licenciement pour motif grave.

Le tribunal rappelle ensuite les règles en matière de fixation du préavis, étant qu’il s’agit d’apprécier la possibilité pour l’employé, au moment de la notification de celui-ci, de retrouver rapidement un emploi adéquat et équivalent, tenant compte des paramètres habituels : ancienneté, âge, importance de la fonction et montant de la rémunération, selon les éléments propres à la cause (Cass., 2 décembre 2002, J.T.T., 2003, p. 408).

La doctrine citée par le tribunal (W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social, Kluwer, 2009-2010, pp. 1894 et 1985) rappelle que, dans l’évaluation du préavis convenable, il n’y a pas lieu de tenir compte des éventuels manquements du travailleur. Ceux-ci ne sont en effet pas de nature à influencer le temps théorique nécessaire à retrouver un emploi adéquat et équivalent.

Le tribunal refuse, en conséquence, de surseoir à statuer et constate par ailleurs que les effets de la procédure pénale pourraient avoir une influence sur l’application de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, mais qu’il n’est pas saisi d’une demande reconventionnelle de la société sur cette question.

Il examine, dès lors, les droits de l’employé en matière de complément d’indemnité, sans attendre l’issue de la procédure pénale. Il fixe ceux-ci à un complément de 6 mois.

Moyen des parties devant la cour

La société interjette appel, en motivant essentiellement celui-ci par la circonstance que, dans un arrêt du 4 février 1991 (Cass., 4 février 1991, Pas., 1991, I, pp. 536 et suiv.), la Cour de cassation a rappelé que les critères à retenir (ancienneté, âge, fonction et rémunération) doivent être appréciés en fonction des éléments propres à la cause (la Cour souligne). Pour la société, il faut, dans la fixation de la durée raisonnable du préavis, faire intervenir le comportement adopté par le travailleur et son attitude fautive peut justifier que l’on ramène le préavis au minimum légal. Il cite deux décisions du Tribunal du travail de Bruxelles, des 30 avril 1986 (J.T.T., 1987, p. 62) et 28 juin 2001 (J.T.T., 2002, pp. 12 et 13).

Quant à l’employé, il relève que l’action pénale est, depuis, éteinte, une ordonnance de non-lieu ayant été rendue par la Chambre du Conseil du Tribunal de première instance de Bruxelles. Il sollicite par ailleurs à titre incident un complément d’indemnité plus élevé.

Position de la cour du travail

La cour rappelle les principes, déjà mis en exergue par le premier juge, et se penche plus particulièrement sur l’interprétation à donner à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1991, pour justifier la prise en considération du comportement du travailleur. Les termes « en fonction des éléments propres à la cause » contenus dans cet arrêt concernent, selon la cour du travail, bien évidemment les critères et paramètres afférents à l’âge, à l’ancienneté, à la fonction et à la rémunération. Ce sont les critères et paramètres devant être pris en compte pour apprécier le temps nécessaire pour retrouver un emploi adéquat et équivalent.

En outre, la cour du travail relève le caractère isolé des décisions citées et souligne qu’elles ne sont pas conformes à l’esprit de la loi et à l’interprétation faite de celle-ci par la Cour de cassation. Elle relève également, avec l’intimé, que les hypothèses visées sont tout à fait spécifiques et sans aucun rapport avec les éléments qui lui sont soumis dans le cas d’espèce.

La cour va dès lors statuer sans tenir compte des manquements éventuels (qu’elle n’examine d’ailleurs pas), relevant cependant que la plainte déposée le fut postérieurement au licenciement. Or, l’appréciation du préavis convenable se fait au moment du congé.

Le complément d’indemnité fixé par le premier juge est confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, une nouvelle fois, que les critères dégagés par la Cour de cassation dans l’appréciation du préavis convenable sont ceux, existant au moment du congé, permettant d’évaluer le temps nécessaire au travailleur pour retrouver un emploi adéquat et équivalent. Toute autre circonstance (telle que le comportement du travailleur pendant l’exécution du contrat de travail) est sans incidence, dans la mesure où le licenciement est intervenu avec préavis ou indemnité et où aucun motif grave n’a été évoqué.


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