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Amendes administratives et dépassement du délai raisonnable : un cas d’application

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 septembre 2011, R.G. 2010/AB/00529

Mis en ligne le mercredi 4 janvier 2012


Cour du travail de Bruxelles, 8 septembre 2011, R.G. 2010/AB/00529

Terra Laboris A.S.B.L.

Dans un arrêt du 8 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles reprend les principes relatifs à la règle du délai raisonnable, dans le cadre de poursuites judiciaires en paiement d’amendes administratives.

Les faits

Un garagiste du secteur privé reçoit, en 1994, une visite de la gendarmerie, suite à laquelle il est avéré, dans un procès-verbal, que diverses personnes sont occupées à des tâches de rangement de pièces de rechange d’occasion et autres. Le propriétaire du garage admet que ces personnes travaillent en dehors d’un contrat de travail et qu’il comptait leur fournir une « rémunération » de l’ordre de 2,50 € par heure. D’autres infractions sont constatées, notamment l’absence de registre du personnel.

L’enquête se poursuit, au niveau de la police de Bruxelles, qui obtient un complément d’informations sur les circonstances de la mise au travail, opérée en infraction aux obligations en matière d’occupation de main-d’œuvre étrangère. Suite à ce contrôle, le garagiste cessera son activité.

L’enquête administrative continue encore et, deux ans plus tard, dans le cadre de la poursuite de l’enquête, une société d’exportation de véhicules, impliquée dans le contrôle, va expliquer que ce garagiste effectuait, en tant qu’indépendant personne physique, des tâches de chargement d’un container, service facturé.

Le dossier est alors classé sans suite par l’Auditorat du travail.

Cependant, dès la fin décembre 1996, la Direction des Amendes administratives inflige à la société en cause une amende de l’ordre de 15.000 €, en conséquence d’une infraction à l’article 27, 1°, a) de l’arrêté royal n° 34 du 20 juillet 1967 relatif à l’occupation de travailleurs de nationalité étrangère. Il lui est reproché d’avoir eu recours à de la main-d’œuvre étrangère irrégulière, étant en l’occurrence quatre travailleurs étrangers en séjour irrégulier.

La décision est confirmée par le tribunal du travail, dans un jugement du 12 février 1998.

Position des parties devant la cour

La société interjette aussitôt appel. Elle fait valoir que, sur la base du pro justitia établi par la gendarmerie, le tribunal du travail a considéré deux choses incompatibles, étant d’abord que les travailleurs étrangers prestaient pour le compte de la société, chose qui n’a plus été retenu ensuite.

Pour la société, en outre, les déclarations de ses gérants n’ont pas été suffisamment prises en compte et elle fait également valoir le classement sans suite du dossier. En ce qui concerne la valeur des pro justita, elle considère que, si les constatations des agents verbalisant valent jusqu’à preuve du contraire, en l’occurrence, l’enquête a été fort sommaire et parcellaire, de telle sorte qu’il n’est pas acquis que la cour dispose d’un compte-rendu complet des faits. Elle sollicite dès lors la mise à néant du jugement.

Le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale développe la thèse inverse, retenue par le tribunal du travail.

Décision de la cour

La cour examine, dans un premier temps, l’existence des infractions et, ensuite, la question du délai raisonnable.

En ce qui concerne le premier point, la cour conclut à l’existence de la matérialité des faits, et ce sur la base du pro justitia initial de la gendarmerie. Pour la cour, il résulte de l’article 9 (alinéa 2) de la loi du 16 novembre 1972 concernant l’Inspection du travail, que les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve du contraire, et ce à certaines conditions, étant que la copie doit être communiquée au contrevenant et, le cas échéant, à son employeur, dans un délai de 14 jours à partir du lendemain de la constatation de l’infraction. Il convient dès lors d’apporter la preuve contraire des constatations contenues dans le procès-verbal, ce qui ne ressort pas des auditions ultérieures des intéressés, comme le relève la cour du travail. Des imprécisions existant dans les déclarations sont en réalité le fruit des déclarants eux-mêmes, au contraire des constatations de la gendarmerie, qui sont précises et concordantes et ne peuvent faire l’objet d’une contestation sérieuse.

Les faits sont dès lors établis et, si l’Auditeur a classé sans suite, il n’en résulte pas, pour la cour du travail, qu’il a considéré que les infractions retenues n’étaient pas fondées.

C’est alors sur la question du délai raisonnable que la cour se penche, puisqu’un délai de plus de 16 ans s’est écoulé depuis la date du contrôle et que l’affaire est restée au rôle de la cour du travail pendant 13 ans. Pour la société, l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’est pas respecté, de telle sorte qu’il y a lieu de l’exempter du paiement de l’amende ou, à tout le moins, de la réduire fortement.

Pour la cour, le délai entre le procès-verbal et le classement sans suite, délai de 2 ans, n’est pas déraisonnable, compte-tenu du fait qu’une enquête complémentaire a été effectuée entre-temps.

La suite de l’instruction du dossier administratif a également été menée dans des délais raisonnables et ceci a toujours été le cas, jusqu’au jugement rendu par le Tribunal du travail de Bruxelles en février 1998. La cour relève que ce n’est qu’en degré d’appel que le SPF a omis de diligenter la procédure. Le délai ici est anormalement long entre l’introduction de l’affaire et sa fixation. Ceci n’implique cependant pas infraction à l’article 6, § 1er de la C.E.D.H. La cour relève en effet que celui-ci vise les accusations en matière pénale et que, même si l’amende administrative est à considérer comme une peine au sens de cette disposition, elle est examinée par un juge civil. Par ailleurs, la notion de délai raisonnable figure également dans l’article 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre préliminaire du Code d’Instruction criminelle, mais il s’agit également, dans cette hypothèse, de poursuites pénales et non de l’examen d’un litige par un juge civil. Enfin, dans un arrêt du 15 septembre 2004 (C. const., 15 sept. 2004, n° 148/2004), la Cour constitutionnelle a considéré que cette disposition ne s’applique pas à un recours devant le tribunal du travail, ceci ne privant cependant pas cette juridiction de tirer les conséquences d’un dépassement du délai raisonnable qu’elle constaterait.

Cependant, la cour rappelle ici qu’il s’agit d’une matière dans laquelle la mise en état judiciaire est entre les mains des parties et que la société pouvait, normalement, diligenter la procédure elle-même, en recourant aux dispositions adéquates du Code judiciaire. Elle en conclut qu’il serait contraire à l’esprit de la règle du dépassement du délai raisonnable, dans les droits qu’elle protège au sens de la Convention européenne et en droit interne, de supprimer une sanction financière ou de la réduire, pour dépassement du délai raisonnable, alors que l’intéressé pouvait très bien empêcher un tel dépassement. La cour relève encore que ce dépassement n’est finalement pas à son désavantage.

Enfin, une reconnaissance est intervenue, vu des paiements partiels effectués. Tenant compte de l’accord pris avec le SPF sur ceux-ci et tout en insistant sur la gravité des infractions, qui portent préjudice à l’équilibre du marché du travail et de la sécurité sociale, la cour réduit l’amende à un montant de l’ordre de 7.760 €.

Intérêt de la décision

Le délai mis à l’instruction de la cause dont est saisi la cour du travail dans cet arrêt est certes particulièrement long (affaire qui, sans accuser de délai anormal, en début d’instruction, reste 13 ans au rôle du greffe de la cour). La cour du travail y rappelle cependant les principes en matière de délai raisonnable, ainsi que les droits protégés, essentiellement dans le cadre d’une procédure pénale. La cour rappelle également à la partie défenderesse (ici intimée) que, si elle reste passive dans la procédure judiciaire, alors qu’elle dispose des moyens de faire trancher la cause, elle risque, comme en l’espèce, de ne pas pouvoir invoquer ce principe.


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