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Licenciement abusif de l’ouvrier : le manque de motivation est-il un critère ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 septembre 2011, R.G. 2010/AB/316

Mis en ligne le mercredi 4 janvier 2012


Cour du travail de Bruxelles, 29 septembre 2011, R.G. 2010/AB/316

Terra Laboris A.S.B.L.

Dans un arrêt du 29 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes en matière de licenciement abusif de l’ouvrier, au regard des règles dégagées par la jurisprudence.

Les faits

Une Dame H. est occupée, depuis 1996, dans divers magasins d’une chaîne de points de vente alimentaire. Celui où elle travaille est repris sous contrat de franchise, en 2003, et l’intéressée conserve son emploi en qualité de « personnel de service ». Elle tombe en incapacité de travail quelques mois plus tard, et ce pour une période de longue durée. Un contrôle médical de l’employeur est effectué et l’incapacité de travail est admise. Elle est cependant licenciée, avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 42 jours. Le document C4 à destination du chômage précise comme motif de la rupture la perturbation de l’organisation et du fonctionnement du service.

Après avoir tenté d’obtenir sa réintégration dans le groupe, et ce infructueusement, l’intéressée introduit une action devant le tribunal du travail, demandant condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts fixés forfaitairement à 6 mois de rémunération. Le tribunal du travail fait droit à sa demande.

Position de la cour du travail

La cour du travail rappelle qu’en vertu de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail, l’ouvrier engagé pour une durée indéterminée, victime d’un licenciement abusif, a droit à une indemnité équivalente à 6 mois de rémunération. Par licenciement abusif, il faut entendre le licenciement opéré pour des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite de celui-ci ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités de l’entreprise, de l’établissement ou du service. La preuve des motifs du licenciement incombe à l’employeur.

La cour du travail rappelle dès lors deux principes :

  • Si l’existence de faits liés à l’aptitude ou à la conduite du travailleur, ainsi que le lien entre ces faits et le licenciement sont établis par l’employeur, il n’y a pas lieu de vérifier si le fait est proportionné à la décision de licenciement ou même s’il est fautif. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (la cour renvoyant à plusieurs arrêts, dont Cass., 7 mai 2001, J.T.T., p 407 et note C. WANTIEZ) ;
  • En ce qui concerne les nécessités de fonctionnement, si celles-ci sont établies, ainsi que la preuve que le licenciement est fondé sur celles-ci, à savoir qu’elles sont la cause de la rupture, il n’y a pas de licenciement abusif. Les juridictions ne peuvent, cependant, ici s’immiscer dans la gestion ou l’organisation de l’entreprise et exercer un contrôle d’opportunité.

La cour revient également à un important arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2008 (S.07.0010.F), qui a rappelé qu’en vertu de la disposition légale, n’est pas abusif un licenciement fondé sur un motif qui présente un lien avec l’aptitude de l’ouvrier, quelles que soient les conséquences de l’inaptitude sur l’organisation du travail. Il n’y a dès lors pas lieu, par exemple, en cas d’absences, d’examiner si elles ont désorganisé l’entreprise. De même encore, dans un arrêt du 18 juin 2001 (Cass., 18 juin 2001, S.99.0153.F), la Cour suprême avait jugé que, si le licenciement est opéré pour une absence injustifiée qui n’est pas prouvée, le juge du fond ne peut dès lors considérer la rupture abusive, vu que l’employeur n’établit pas que le motif visé aurait un lien avec la conduite de l’ouvrier.

En l’espèce, la cour du travail relève qu’aucun motif ne figure dans la lettre de congé et que le formulaire C4 fait état de perturbation de l’organisation et du fonctionnement du service. Pour la cour, ceci ne vaut pas motif, d’autant que la société ne fait que faire état des conséquences d’un éventuel comportement de l’ouvrière ou d’une éventuelle inaptitude au travail, ceux-ci n’étant cependant pas précisés.

Relevant également qu’aucun élément antérieur à la rupture ne permet de déterminer si les faits à l’origine des perturbations vantées seraient ou non imputables à la conduite de l’intéressée ou à son aptitude (faits fautifs ou non), la cour constate que ce n’est qu’après l’introduction de la procédure que la société a énoncé divers griefs. Aucune mise en garde, aucun avertissement écrit n’a en effet été adressé avant la notification du congé.

Dans le cadre de l’instruction judiciaire de la cause, la société fait par contre état de comportements qui seraient à l’origine d’une ambiance malsaine, de retards fréquents et d’absences répétées ayant perturbé l’organisation du service, et encore d’un manque de motivation qui aurait déçu l’employeur.

La cour examine, dès lors, les éléments de preuve apportés par celui-ci, à savoir des témoignages écrits. Ceux-ci révèlent certes, pour elle, l’existence d’une mésentente entre les membres du personnel, mais nulle part n’est établi le fait que ce serait le comportement de l’ouvrière qui serait à l’origine de celle-ci. La cour procède à une analyse minutieuse des déclarations, constatant que les prétendus agissements de l’intéressée ne sont pas précisés et que rien ne permet de déterminer que la dégradation des relations professionnelles serait imputable à la conduite, même non fautive, de la travailleuse.

En ce qui concerne les retards, c’est également sur la base de déclarations de membres du personnel que l’employeur se fonde pour établir son grief. La cour va ici également conclure que la réalité des absences et des retards n’est pas établie à suffisance de droit.

Enfin, en ce qui concerne le manque de motivation et la déception de l’employeur, la cour retient que ces griefs ne sont pas de nature à renverser la présomption d’abus de droit contenue dans l’article 63. En effet, d’une part, le manque de motivation n’est pas prouvé et, d’autre part, même s’il l’était, il ne pourrait justifier le licenciement que s’il faisait apparaître un comportement ou une inaptitude au sens légal. Encore une fois, la cour relève que le comportement allégué n’est pas précisé et qu’elle ne peut dès lors en vérifier la réalité. Elle va ici également vérifier si existent des éléments signalés in tempore non suspecto, ce qui n’est pas le cas. Enfin, sur la déception de l’employeur, la cour souligne à très juste titre qu’il s’agit d’un sentiment subjectif et que, à supposer que l’intéressée n’ait pas répondu aux attentes de celui-ci, il n’est pas possible de déterminer, à défaut d’explications quant aux raisons de ladite déception, si celle-ci est en rapport avec la conduite ou l’aptitude de l’intéressée.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La décision de la cour du travail ci-dessus, qui applique de manière très stricte les principes dégagés par la Cour de cassation dans le cadre de l’article 63, aboutit à un contrôle très rigoureux des motifs invoqués.

La cour procède à la recherche de la preuve réelle et suffisante, sur le plan légal, du fait avéré. Elle examine également si le fait – à le supposer établi – peut s’analyser en un comportement ou une aptitude, motifs autorisant, selon le texte légal, la rupture du contrat de travail.


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