Terralaboris asbl

Harcèlement au travail et conditions de la résolution judiciaire du contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juillet 2011, R.G. 2009/AB/52.363

Mis en ligne le mercredi 21 décembre 2011


C. trav. Bruxelles, 12 juillet 2011, R.G. n° 2009/AB/52.363

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 juillet 2011, la Cour du travail de Bruxelles examine un cas de harcèlement à partir d’une demande de résolution judiciaire du contrat de travail, assortie de dommages et intérêts.

Les faits

Une éducatrice est engagée dans un établissement spécialisé, dépendant d’un CPAS de la capitale.

En avril 2007, elle dépose une plainte formelle pour harcèlement contre la directrice de l’établissement où elle est occupée, ainsi que contre l’assistant de cette dernière. La plainte est déposée auprès conseiller externe en prévention et vise des faits, propos et incidents qui constituent, selon elle, du harcèlement.

L’intéressée tombe en incapacité de travail, à la même époque.

Environ sept mois plus tard, elle introduit devant le tribunal du travail une action en résolution du contrat de travail. Elle demande d’une part la réparation du préjudice résultant de la perte de l’emploi due en cas de résolution judiciaire et d’autre part l’indemnité spéciale prévue en application de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996 sur le bien-être. D’autres sommes sont également réclamées.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 5 mai 2009, le tribunal du travail déboute l’intéressée et, en conséquence, la condamne aux dépens.

Le tribunal considère qu’il n’y a pas harcèlement mais que la situation vécue est la résultante d’un conflit entre des personnes. Tout en considérant que la directrice n’aurait pas « un caractère facile » et qu’elle devrait avoir un « meilleur comportement », le tribunal conclut qu’il y a un grave conflit relationnel entre cette dernière et divers membres du personnel. Le tribunal constate également que ceux-ci ont entamé des procédures judiciaires à ce sujet, procédures dont il considère qu’elles sont sans incidence, vu la relativité de la chose jugée.

Tout en retenant cependant qu’il n’y a « évidemment pas de fumée sans feu », vu le nombre d’attestations déposées, constatant une direction dictatoriale, le tribunal considère cependant qu’il n’y a pas harcèlement moral au sens du droit positif en vigueur au moment des faits et que l’employeur n’a pas négligé ses devoirs en matière de harcèlement. Il ne fait dès lors pas droit à la demande de résolution judiciaire fondée sur l’article 1184 du Code civil, non plus qu’à la demande de dommages et intérêts.

L’intéressée interjette appel de ce jugement.

Décision de la cour du travail

La cour est dès lors saisie des deux aspects du litige et doit décider d’une part si les conditions de l’article 1184 du Code civil sont réunies et d’autre part si des faits de harcèlement sont présents pouvant déboucher sur l’octroi de dommages et intérêts dans le chef de l’employeur, vu le harcèlement dont se serait rendue coupable la directrice de l’établissement.

La cour constate que l’intéressée fonde ses différentes demandes en invoquant tant la responsabilité contractuelle du CPAS que la responsabilité extracontractuelle du fait d’autrui de celui-ci (art. 1384 du Code civil).

Elle examine d’abord s’il existe un harcèlement moral, en l’espèce. Elle constate que, la directrice n’ayant pas été mise à la cause, le CPAS est tenu, en vertu de l’article 1384 du Code civil, du dommage causé par ses préposés dans les fonctions auxquelles il les a employés, en l’occurrence l’éventuel dommage causé par le harcèlement. Celui-ci doit dès lors être établi.

La cour va se livrer à une longue analyse des éléments de fait et elle en conclut, sur la base de divers incidents, que des comportements manifestement volontaires ont été adoptés de façon gratuite et ont constitué des vexations et humiliations graves. Pour la cour, des indices suffisants de harcèlement existent et ils ont d’ailleurs été également reconnus par le ministère public. L’intéressée est, en conséquence, pour la cour, en droit de se voir octroyer des dommages et intérêts du fait du harcèlement moral dont elle a été victime.

Sur le plan de la résolution judiciaire du contrat de travail, celle-ci suppose cependant un manquement grave dans le chef de l’employeur. La cour va ici relever que le CPAS a réagi de façon conforme aux dispositions légales et il a notamment tenté de trouver des solutions en recadrant à la fois la directrice et le personnel (organisation de nombreuses réunions, assistance psychologique aux éducateurs, …).

Vu les nombreuses mesures qui ont été prises, la cour constate que l’employeur a respecté les articles 16 et 20 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi que l’article 1134 du Code civil. Elle souligne que l’employeur devait, dans le cadre de ce litige interne, adopter une attitude d’autant plus prudente que plusieurs personnes se trouvaient concernées par le conflit.

N’ayant cependant contrevenu ni aux dispositions de la loi du 4 août 1996 ni à celles de la loi du 3 juillet 1978, la cour conclut que les conditions de la résolution judiciaire sollicitée ne sont pas remplies. Des dommages et intérêts de ce chef ne sont dès lors pas dus.

Elle décide, cependant, de la réouverture des débats sur les dommages et intérêts consécutifs au fait de harcèlement lui-même, sur la base de l’article 1384 du Code civil. La cour considère, notamment, vu les divers chefs de demande introduits par l’éducatrice à cet égard qu’il y a lieu pour elle de ventiler ce qu’elle considère relever de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle du CPAS. En effet, elle n’a droit qu’aux seuls dommages et intérêts dus en raison du harcèlement, c’est-à-dire ceux inscrits dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle de l’employeur, en application de l’article 1384. La cour demande également à être davantage éclairée sur les fondements et justifications des indemnités postulées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles aborde la délicate question de la responsabilité de l’employeur, dans le cadre de l’article 1384 du Code civil, en cas de harcèlement avéré au sein d’une institution. Quoique celui-ci soit établi et puisse dès lors entraîner la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de l’employeur, ce dernier peut cependant prouver qu’il n’a pas contrevenu aux obligations mises à sa charge par la loi du 4 août 1996 et par celle du 3 juillet 1978 et qu’il n’y a, dès lors, pas de manquement grave autorisant la résolution judiciaire du contrat de travail à ses torts, au sens de l’article 1184 du Code civil.


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