Terralaboris asbl

Quid de la rémunération variable à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de préavis, en cas d’incapacité de longue durée ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. 2010/AB/127

Mis en ligne le mercredi 21 décembre 2011


C. trav. Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. n° 2010/AB/127

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 29 juillet 2011, la Cour du travail de Bruxelles donne son interprétation de la notion de rémunération visée à l’article 131 de la loi du 3 juillet 1978, interprétation qu’elle choisit dans le respect des principes d’égalité et de non-discrimination.

Les faits

Un délégué commercial est licencié, après trois ans et demi d’activité, et ce suite à des avertissements reçus (absence de rapports de visite, insuffisance du chiffre d’affaires, …). Le licenciement intervient pendant une période d’incapacité de travail de plus de six mois.

Il introduit une action devant le Tribunal du travail de Nivelles, action relative à l’indemnité compensatoire de préavis. Il réclame d’autres sommes, dont l’indemnité d’éviction du représentant de commerce, des commissions, etc.

Décision du tribunal du travail

Par Jugement du 8 octobre 2009, le tribunal du travail fait en grande partie droit à la demande, hors les arriérés de commissions.

Position des parties en appel

La société interjette appel du jugement, demandant à la cour de déclarer satisfactoire son offre de verser une partie des montants auxquels elle a été condamnée, et ce au titre d’indemnité compensatoire de préavis.

L’employé soumet à la cour les chefs de demande qu’il avait formulés au départ, et qui n’ont pas été admis par le tribunal.

Décision de la cour du travail

La cour du travail est saisie d’une contestation relative aux termes de l’article 82, § 2 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi que de l’article 131 de la même loi.

En ce qui concerne la première de ces deux dispositions, l’employé dont la rémunération annuelle n’excède pas un certain plafond a droit, en cas de licenciement, à un préavis de trois mois par tranche entamée de cinq ans d’ancienneté. Si ce montant est dépassé, le préavis doit être fixé, quant à sa durée, par le juge à défaut d’accord entre les parties et il ne peut être inférieur à la durée ci-dessus.

S’agissant, en l’espèce, de tenir compte d’une rémunération variable, la cour constate que les parties font une lecture différente de cette disposition. Pour l’employeur, afin de déterminer le seuil à prendre en considération, il faut retenir la rémunération variable des douze derniers mois (question qui n’est pas sans incidence, l’intéressé n’ayant perçu aucune rémunération plusieurs mois vu l’incapacité de travail), l’employé considérant quant à lui qu’il y a lieu de retenir la rémunération variable de la période précédant le début de cette incapacité.

La cour renvoie dès lors à l’article 131 de la loi du 3 juillet 1978, qui dispose que, pour l’application de l’article 82 notamment, les commissions et avantages contractuels variables sont calculés sur le montant de la rémunération des douze mois antérieurs.

La cour examine les effets que donnerait l’interprétation que fait la société de la période en cause et considère que celle-ci entraîne à tout le moins deux inconvénients majeurs.

Le premier implique une contradiction entre les articles 82 et 131 et dans l’interprétation que l’employeur leur donne, d’une part et l’article 39 d’autre part. Ce dernier dispose en effet que la rémunération annuelle à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité compensatoire de préavis est la rémunération et les avantages acquis en vertu du contrat, en cours au moment du licenciement. En cas de suspension de l’exécution du contrat pour cause d’incapacité de longue durée, l’indemnité de préavis se calcule en prenant en considération la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit si l’exécution du contrat n’avait pas été suspendue. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (et la cour du travail renvoie à Cass., 6 sept. 1982, Pas, 1983, p.14). De même, si un travailleur à temps plein travaille temporairement à temps partiel vu une incapacité de travail partielle, l’indemnité compensatoire se calcule sur la base du temps plein (et c’est ici l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 28 mai 2009, arrêt 89/2009).

Pour la cour du travail, ces deux cas de figure illustrent un développement constant dans la jurisprudence, et l’on peut constater qu’en cas d’incapacité de travail la rémunération en cours au sens de l’article 39 est considérée comme devant être évaluée afin de correspondre à la rémunération dont le travailleur aurait normalement bénéficié conformément au contrat s’il n’avait pas été en incapacité de travail et la cour de souligner ici qu’il est logique de privilégier la cohérence entre les notions de rémunération reprises aux articles 82 et 39 de la loi.

La cour voit également un second inconvénient à l’interprétation proposée par la société, étant qu’il y aurait une discrimination entre travailleurs dont la rémunération est entièrement fixe et les autres, qui perçoivent une rémunération totalement ou partiellement variable, cette seconde catégorie voyant cette rémunération se réduire au fur et à mesure que la durée de l’incapacité de travail s’allonge pour arriver éventuellement à une rémunération variable nulle en cas d’incapacité de travail de longue durée. En outre, il y aurait pour la cour, source à une seconde discrimination parmi les travailleurs ayant une rémunération en tout ou en partie variable, étant d’une part ceux qui sont licenciés en période d’activité et d’autre part ceux qui le sont en période d’incapacité de travail de longue durée, seuls les seconds bénéficiant de l’effet négatif de la réduction de la rémunération à prendre en compte. Pour la cour du travail il y aurait des différences de traitement entre travailleurs, qui ne paraissent pas avoir de justification raisonnable.

La cour propose dès lors une interprétation de l’article 131 susceptible d’éviter les difficultés ci-dessus. Elle considère que les termes « rémunération des douze mois antérieurs » repris dans cette disposition doivent viser une rémunération effective. Il ne peut s’agir d’une rémunération inexistante, que la cour considère comme ne pas constituer en réalité une rémunération du tout. L’interprétation ainsi donnée n’est pas incompatible avec le texte de la loi et permet en outre de concilier l’article 131 et l’article 39 et respecter le principe d’égalité et de non-discrimination.

En conséquence, la cour calcule la rémunération variable sur la base de celle qui a été perçue pendant les douze derniers mois au cours desquels le délégué a pu prétendre à celle-ci, soit les douze mois précédant la période d’incapacité de travail.

Celle-ci, majorée du pécule de vacances va servir de base, en sus du fixe, pour calculer le préavis auquel a droit le délégué, préavis dont le délai est fixé à quatre mois vu les circonstances de l’espèce.

La cour va ensuite examiner les données chiffrées qui lui sont soumises afin de tenir compte des avantages spécifiques (usage privé du véhicule, tickets repas, assurance de groupe et indemnité de frais téléphone).

Enfin, elle consacre également des développements à la question de l’indemnité d’éviction, indemnité qu’elle va allouer, considérant d’une part que l’intéressé avait la qualité de représentant de commerce, eu égard aux fonctions exercées et d’autre part qu’il a apporté une clientèle à son employeur, le contrat contenant une clause de non-concurrence (l’employé établissant en outre qu’il avait augmenté le chiffre d’affaires de son secteur de près de 50% en deux ans) et la société n’établissant pas l’absence de préjudice en termes de perte de clientèle.

Intérêt de la décision

La décision rendue par la cour du travail est très intéressante dans la réflexion qui y est menée sur la notion de rémunération au sens des articles 39, 82 et 131 de la loi. La cour y donne une interprétation cohérente, interprétation qui tient également compte des principes d’égalité et de non-discrimination, dans l’hypothèse d’une incapacité de travail, en l’occurrence de longue durée.


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