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Personnel d’Ambassade : assujettissement à la sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2011, R.G. 2010/AB/760

Mis en ligne le mercredi 14 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 15 septembre 2011, R.G. 2010/AB/760

Dans un arrêt du 15 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, en analysant la Convention de Vienne, que les membres du personnel administratif et technique d’une mission diplomatique doivent être soumis à la sécurité sociale belge.

Les faits

Une employée est engagée par l’Ambassade en Belgique d’un Etat étranger, dont elle est ressortissante. Elle preste à Bruxelles, en qualité de secrétaire. Le contrat de travail est à durée indéterminée et les prestations sont exécutées à temps plein. La rémunération mensuelle est de l’ordre de 1.115 €. Les prestations sont fournies exclusivement à l’Ambassade.

L’employée est inconnue du fisc belge et de l’O.N.S.S.

Elle effectue des démarches auprès de son employeur afin d’être déclarée en matière de pension et il lui est rétorqué qu’elle bénéficie d’un statut privilégié, par rapport à ses compatriotes, le salaire perçu ne pouvant être espéré si elle travaillait dans son pays d’origine. Il lui est également précisé que, vu sa nationalité, elle ne peut bénéficier de prestations de sécurité sociale en matière de retraite, l’Ambassadeur précisant être disposé à lui assurer une couverture dans le pays d’origine.

Le Contrôle des Lois sociales intervient et s’adresse au Chef du Protocole auprès du SPF Affaires étrangères, afin de rappeler à l’Ambassade ses obligations en qualité d’employeur. Quelques jours plus tard, l’intéressée est licenciée en raison de « nombreuses fautes professionnelles graves, volontaires et répétées ».

Vu l’échec de démarches entreprises afin de régler l’affaire à l’amiable, l’intéressée assigne en arriérés de rémunération et en indemnité compensatoire de préavis. Elle demande également une indemnisation, vu l’absence de paiement des cotisations sociales pendant toute la durée d’occupation.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 1er juin 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande d’indemnité de préavis et fixe celui-ci à 6 mois. Il dit pour droit que l’employeur doit payer les cotisations sociales du travailleur, ainsi que les siennes, sur les montants auxquels il est condamné et ne peut les faire venir en déduction des condamnations. Il dit également pour droit que l’intéressée était soumise aux dispositions belges de la sécurité sociale des travailleurs salariés pendant toute sa période d’occupation et que les cotisations doivent être payées sur la rémunération perçue, dans la mesure où l’O.N.S.S. accepte ces paiements eu égard notamment aux règles de prescription. La réouverture des débats est ordonnée en ce qui concerne les arriérés de rémunération.

Position des parties en appel

L’Etat étranger fait valoir, à titre principal, l’immunité de juridiction dont il bénéficierait et, à titre subsidiaire, son immunité sociale.

Il estime que le premier juge a statué au mépris des règles du droit diplomatique et particulièrement des dispositions de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 en ce qu’il s’est déclaré compétent pour connaître de la demande. Il fait grief au premier juge d’avoir considéré que seuls les membres du personnel diplomatique, c’est-à-dire ceux qui ont la qualité de diplomate (au sens de l’article 1, d) de la Convention de Vienne), pourraient poser des actes relevant de la puissance publique de l’Etat accréditant. Il considère que les autres membres du personnel de la mission et notamment le personnel administratif et technique (au sens de l’article 1, b) de la même convention) peuvent également poser de tels actes.

Il conteste également que l’employée ait fait partie du personnel administratif et technique, au motif qu’il n’est pas établi qu’elle était accréditée en cette qualité, non plus que cette accréditation avait été acceptée par la Belgique (Etat accréditaire). L’Etat étranger se réfère ici à une note circulaire de la Direction Protocole du SPF Affaires étrangères du 15 mai 2007, en ce qu’elle traite des différentes catégories de membres du personnel de la mission diplomatique et précise que certaines fonctions font partie de la catégorie « personnel administratif et technique », étant les dactylographes, secrétaires, collaborateurs administratifs et adjoints, clercs, employés de bureau, techniciens d’I.C.T., etc. Il souligne également que le personnel engagé localement ne se voit pas délivrer de carte d’identité spéciale et ne bénéficie donc ni de privilèges ni d’aucune immunité (alinéa 6 de la même note).

En ce qui concerne la portée des actes accomplis dans le cadre de sa fonction de secrétaire à l’Ambassade, l’Etat étranger fait valoir que le premier juge aurait mal apprécié les fonctions exercées au Service consulaire. L’employée ayant détenu et pu utiliser les tampons et documents réservés à ce service de l’Ambassade, ceci constituerait la preuve de ce qu’elle posait des actes relevant de la puissance publique de l’Etat.

L’employée n’exerçait, pour lui, pas de fonctions subalternes, elle n’avait pas la nationalité belge et ne résidait pas en Belgique lors de la conclusion du contrat (étant arrivée sur le territoire belge la veille de sa prise de fonctions), de telle sorte que le contrat de travail entre les parties participe par sa nature ou sa finalité à l’exercice de la souveraineté de l’Etat. Il ne s’agit dès lors pas d’un acte de gestion et il y a lieu d’appliquer l’immunité de juridiction.

L’employée sollicite pour sa part confirmation du jugement dont appel et demande à la Cour d’examiner les montants non tranchés par le premier juge, étant essentiellement les arriérés de salaire ainsi que les dommages et intérêts pour l’absence de déclaration à l’O.N.S.S.

L’arrêt de la cour

La cour rejette les deux arguments de l’Etat étranger, tirés de l’immunité de juridiction, ainsi que de l’immunité sociale invoquée. En ce qui concerne l’immunité de juridiction, la cour reprend l’article 1er, f) de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 (approuvée par la loi du 30 mars 1968), qui définit les « membres du personnel administratif et technique », à savoir les membres du personnel de la mission employés dans le service administratif et technique de celle-ci. Une secrétaire fait, pour la cour, partie de ce personnel au sens de cette disposition.

Il y a dès lors lieu d’examiner les conditions d’application de l’article 37, 2° de la même Convention, qui règlent les conditions de ce personnel, étant qu’il bénéficie, pour autant qu’il ne soit pas ressortissant de l’Etat accréditaire ou qu’il n’y ait pas de résidence permanente, des privilèges et immunités repris dans la même Convention, sauf que l’immunité de la juridiction civile et administrative de l’Etat accréditaire ne s’applique pas aux actes accomplis en dehors de l’exercice de leurs fonctions.

Après avoir relevé que l’employée n’était pas ressortissante belge et n’avait pas de résidence permanente en Belgique au moment de l’engagement, la cour constate qu’elle était ainsi susceptible de bénéficier d’une immunité de juridiction pénale de l’Etat belge et que son immunité de juridiction civile était en principe limitée aux actes accomplis par elle dans l’exercice de ses fonctions.

Elle relève cependant qu’il n’est nullement établi par l’Etat étranger que la Belgique avait accordé à l’employée des privilèges et immunités supplémentaires. De même, n’est pas prouvée la prétendue immunité diplomatique dont elle aurait bénéficié, cette preuve étant à charge de l’Etat étranger. La cour constate que celle-ci pourrait très facilement être apportée, par le biais du Service du Protocole du SPF Affaires étrangères.

Reste encore, pour la cour, à examiner – à supposer que l’employée ait bénéficié en sa qualité de membre du personnel de la mission d’une immunité fonctionnelle – si les éléments de fait et de droit faisant l’objet du litige concernent ou non les actes de sa fonction. La cour considère ici que le fait d’être engagée, rémunérée, assujettie à la sécurité sociale et licenciée est distinct des actes posés dans l’exercice effectif de la fonction de secrétaire et qu’il ne procède pas de la nature de la fonction telle que décrite par l’Etat étranger. La cour est saisie d’une action fondée sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, action étrangère aux actes administratifs que l’employée a éventuellement été amenée à accomplir dans le cadre de ses fonctions de secrétaire. La cour retient encore que celle-ci ne pourrait pas elle-même se prévaloir d’une quelconque immunité de juridiction quant à une telle action, intentée contre elle.

La cour rappelle encore l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 1994 (Cass., 22 septembre 1994, Pas., 1994, I, p. 158), selon lequel l’article 31, 3° de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques vise l’agent et non l’Etat accréditant : c’est l’agent diplomatique qui peut bénéficier d’une immunité personnelle et non l’Etat accréditant. Quant à l’immunité de juridiction et d’exécution des Etats étrangers, celle-ci ne s’applique qu’aux actes de souveraineté et non aux actes de gestion privée (la distinction étant acquise de très longue date en droit belge, ainsi que le relève la cour, qui cite ici un arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 1903, Pas., 1903, I, p. 292). Rentrent par contre dans la notion de gestion privée de l’Etat accréditant l’engagement et le licenciement des membres du personnel d’Ambassade non chargés de missions diplomatiques. La cour est ainsi en mesure de considérer qu’il n’y a pas d’immunité de juridiction.

Elle rappelle ensuite les dispositions de la Convention sur l’immunité sociale et fiscale.

La cour en conclut que l’intéressée devait être assujettie à la sécurité sociale belge et que, en conséquence, les cotisations sociales devaient être payées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt tranche uniquement les deux questions ci-dessus, relatives à l’immunité dont se revendique l’Etat étranger.

Il conclut, en conséquence du rejet des arguments relatifs aux immunités susdites, à la confirmation du jugement en ce qui concerne la débition de l’indemnité compensatoire de préavis et du pécule de vacances.

Les questions relatives aux arriérés de rémunération (réclamés sur la base des barèmes en vigueur de la C.P. 218), ainsi que la demande d’indemnisation pour non-assujettissement à la sécurité sociale, ne sont pas tranchées.

L’arrêt se prononce, cependant, de manière claire et catégorique, sur les obligations de l’Etat étranger par rapport à son personnel administratif et technique, ne bénéficiant pas des immunités diplomatiques admises en droit international.

Rappelons cependant que les immunités fiscales et sociales dont peuvent bénéficier les membres du personnel administratif et technique, les membres du personnel de service de la mission et les domestiques sont reprises à l’article 37 de la Convention.


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