Terralaboris asbl

Technicienne de surface prestant en institution hospitalière : obligations de l’employeur en cas d’écartement

Commentaire de C. Trav. Bruxelles, 12 septembre 2011, R.G. 2009/AB/51.767

Mis en ligne le lundi 12 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 12 septembre 2011, R.G. 2009/AB/51.767

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 12 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle d’une part que les nettoyeuses de surface en personnel hospitalier sont exposées à des risques accrus susceptibles d’entraîner leur écartement du poste de travail en cas de grossesse et, d’autre part, qu’aucune obligation de réaffectation ne figure dans les lois coordonnées le 3 juin 1970.

Les faits

Une Dame F. est engagée par une société de nettoyage comme technicienne de surface et est affectée à une clinique.

Elle tombe enceinte en 2005 et le médecin du travail recommande qu’elle n’exerce pas de travail en milieu où peuvent surgir des risques d’infection. Est également recommandé qu’elle ne soit pas exposée à des rayons ionisants ou autres agents ou substances dangereuses et qu’elle n’effectue pas de travaux de manutention de charges de plus de 10 kilos.

Elle est en conséquence écartée de son poste de travail et introduit une demande d’indemnisation au Fonds des Maladies Professionnelles. Celui-ci la refuse, au motif que l’activité professionnelle exercée ne donne pas lieu à indemnisation sur la base de l’arrêté royal du 28 mars 1969.

L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail de Nivelles.

La décision du tribunal

Par jugement du 16 décembre 2008, le Tribunal du travail de Nivelles, section de Wavre, la déboute. Il constate que le Fonds a produit une note d’un conseiller en prévention, en ce qui concerne les raisons invoquées par l’employeur pour tenter de justifier une prétendue impossibilité de réaffecter l’intéressée à un autre poste de travail et le tribunal en conclut que l’ensemble des motifs invoqués ne relève pas d’un souci de prévention d’une affection susceptible de porter atteinte à la mère ou au fœtus, mais d’une politique d’emploi pratiquée au sein de l’établissement hospitalier, et ce dans un seul but de rentabilité. Pour le tribunal, l’écartement ne doit exister que lorsqu’il n’est pas possible de changer d’affectation afin que la travailleuse ne soit pas exposée au risque de contracter une ou plusieurs pathologies déterminée(s) ou une maladie, de même qu’à une menace sérieuse d’en être atteinte.

Pour le tribunal, l’intéressée pouvait être transférée dans un autre service et, si ceci n’avait pas été fait, c’est dans un seul but de rentabilité. Pour lui, ce n’est pas au F.M.P. de pallier les obligations de l’employeur. Le tribunal renvoie la travailleuse vers celui-ci, qui est, selon le jugement, manifestement à même d’assurer la mutation temporaire de poste de travail.

Position des parties en appel

L’intéressée interjette appel au motif que le tribunal n’a nullement répondu aux moyens qu’elle a fait valoir. Elle a en effet exposé qu’elle entre dans la catégorie des activités professionnelles exercées dans les institutions de soins où un risque accru d’infection existe, vu qu’elle s’occupe de l’entretien des salles d’intervention, de consultation, des bureaux et des sanitaires.

Le médecin de recours qu’elle a consulté a relevé qu’elle a été écartée pour des risques bien précis (tuberculose, hépatite virale, autres maladies infectieuses susceptibles d’être contractées dans les institutions de soins où le risque d’infection accru existe et, enfin, hépatite A pour le personnel exposé au contact avec des eaux usées contaminées par des matières fécales). Elle rappelle également qu’une de ses collègues a pu obtenir la prise en charge de son écartement alors qu’elle était dans la même situation. En ce qui concerne la réaffectation, elle souligne que la loi sur la réparation des maladies professionnelles ne prévoit aucune obligation pour l’employeur de procéder à un reclassement du personnel dans un autre service et fait valoir à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Liège du 22 mai 2003 (R.G. 31.075/2002). Contrairement à ce que le premier juge a retenu, elle souligne que ni la loi du 3 juin 1970 ni celle du 16 mars 1971 sur le travail ne prévoit de recours pour la travailleuse. Enfin, à supposer que son employeur pratique une politique contraire aux intérêts du Fonds, elle considère ne pouvoir en être victime.

Quant au Fonds, il se borne à solliciter la confirmation du jugement.

Position de la cour

En ce qui concerne la première question posée, étant de savoir si l’activité exercée rentre dans la notion d’activité susceptible d’être indemnisée dans le cadre de l’arrêté royal du 28 mars 1969, la cour rappelle que peu importe que la profession de technicienne d’entretien rentre ou non dans une catégorie déterminée, vu que les critères en matière d’écartement préventif du milieu de travail n’ont aucune force obligatoire et qu’ils doivent être appréciés in concreto. C’est l’enseignement de la Cour du travail de Liège dans l’arrêt invoqué par la travailleuse et la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, selon cette décision, la législation prévoit que la liste doit être évolutive car les conditions de travail changent considérablement, de même que les connaissances spécifiques. La cour souligne également que le Fonds reste manifestement en défaut de revoir suffisamment régulièrement la liste.

En l’espèce, il ne peut pas être nié que l’intéressée était exposée au risque de contracter une maladie infectieuse susceptible de nuire à la santé de son enfant ou d’elle-même, et ce d’autant qu’elle n’était pas immunisée contre des maladies graves. La cour rappelle que le risque d’infection est de toute évidence accru en milieu hospitalier, vu la présence importante de personnes infectées. La cour attire l’attention sur le libellé du code 1.404.01, qui vise non seulement le personnel s’occupant de prévention, de soins, d’assistance à domicile et de recherche, mais également les autres activités professionnelles dans les institutions de soins où un risque accru d’infection existe. Tel est bien le cas du personnel d’entretien.

Examinant ensuite la question des motifs invoqués par l’employeur (la société de nettoyage), la cour relève que, sur le plan légal, l’employeur a, en vertu de la loi du 16 mars 1971, l’obligation d’adopter des mesures préventives, dont la réaffectation temporaire de la travailleuse à d’autres tâches ou la suspension totale de l’exécution des prestations.

Le conseiller en prévention du Fonds a donné, sur cette question, quelques explications, à partir des renseignements obtenus chez l’employeur. Celui-ci a déclaré que sa politique en la matière était de proposer ou de trouver des solutions d’écartement et d’aménagement de poste de travail pour toutes les personnes travaillant hors milieu hospitalier. Pour les nettoyeuses en milieu hospitalier, il ne prévoyait pas d’adaptation ou de mutation de poste de travail, pour de nombreuses raisons (personnes travaillant exclusivement dans des temps partiels parfois très courts, ayant dû suivre une formation spécifique et ayant des rendements imposés inférieurs aux nettoyeuses de bureaux). Par ailleurs, des risques spécifiques existent en milieu hospitalier et, dans le cadre de l’analyse des risques, il est admis que constitue une zone à risque toute zone où existe un risque infectieux potentiel lié au contact avec du matériel souillé ou un risque de coupure ou de piqure. Cette position a été adoptée par l’employeur et le médecin du travail, sur la base essentiellement des statistiques d’accidents du travail. En outre, l’organisation du travail y a fortement évolué (organisation par unité), ce qui rend difficile l’affectation d’une seule personne aux zones administratives.

Après avoir repris ces éléments, la cour retient qu’il ne s’agit nullement de critères de rentabilité et qu’il ne s’agit donc pas d’une justification de l’employeur, mais de raisons données permettant de comprendre les difficultés de réaffectation de ce genre de personnel.

Tout en relevant encore que l’obligation pour l’employeur de prendre des mesures spécifiques lorsqu’une travailleuse enceinte est soumise à un risque particulier – obligation contenue dans la loi du 16 mars 1971 ci-dessus –, la cour précise que cette obligation est une obligation de moyen et non de résultat. En outre, dans le cadre de la législation en matière de maladies professionnelles, il n’y a aucune obligation de reclassement (la cour renvoyant ici à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 26 juin 2009 – R.G. 35.077/07).

Une tâche de remplacement ne doit dès lors être donnée que dans la mesure du possible, l’employeur n’ayant pas à désorganiser son entreprise pour procurer celle-ci.

Le Fonds ne pouvait, dès lors, refuser d’indemniser l’intéressée, même s’il dispose d’un pouvoir discrétionnaire de proposer et d’indemniser l’écartement : ceci signifie en effet qu’il est tenu d’apprécier, dans chaque situation, la réalité du risque invoqué dans le cadre de sa politique de protection et de promotion de la santé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle que peut être écartée une travailleuse exerçant une activité professionnelle dans une institution de soins où un risque accru d’infection existe. Il reprécise par ailleurs les contours de l’obligation de reclassement et, particulièrement, dans l’hypothèse du milieu hospitalier, où la travailleuse preste chez un client de son employeur, avec des conditions bien spécifiques, réduisant encore les possibilités de reclassement dans des fonctions où le risque accru serait absent.


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