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Harcèlement moral : quand commence la protection contre le licenciement en cas de dépôt de plainte ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 septembre 2011, R.G. 2010/AB/464

Mis en ligne le lundi 5 décembre 2011


C. trav. Bruxelles, 21 septembre 2011, R .G. n° 2010/AB/464

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les exigences en matière de dépôt de plainte et particulièrement le début de la protection, dans une espèce où le licenciement suit de très peu les démarches entreprises par une employée dans ce cadre.

Les faits

Une employée de banque, exerçant des fonctions d’employée commerciale (accueil au guichet, traitement des opérations et des ordres) informe le 4 janvier 2008 la direction de la société d’un incident survenu avec son directeur d’agence le même jour. Elle fait état de difficultés plus générales rencontrées avec lui (cris, manque de respect, humiliations). Elle précise devoir prendre des médicaments vu la situation et demande que celle-ci cesse. Quatre jours plus tard, elle tombe en incapacité de travail jusque fin février 2008, incapacité dûment justifiée.

Pendant celle-ci, elle sollicite l’intervention d’un conseiller en prévention psychosociale et a un entretien avec lui le 23 janvier. Le 25 janvier, elle adresse au SPF Emploi, Travail et Concertation sociale un questionnaire en rapport avec une plainte pour harcèlement.

Le 13 février, elle est licenciée moyennant paiement d’une indemnité de rupture de trois mois de rémunération. Elle sollicitera sa réintégration le 22 février, au motif qu’elle a déposé plainte.

Pour la banque, la plainte aurait été déposée le jour du licenciement et ne bénéficierait pas, dès lors, de l’antériorité requise.

L’intéressée introduit une procédure devant le tribunal du travail, demandant l’indemnité forfaitaire de six mois, en plus de dommages et intérêts du même montant pour licenciement abusif.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 25 janvier 2010, le tribunal fait droit à la demande d’indemnité de protection, considérant que l’employée bénéficie de la protection contre le licenciement et que le motif du licenciement n’est pas étranger au dépôt de la plainte. Le tribunal ne fait cependant pas droit à la demande d’indemnité pour licenciement abusif.

Position des parties en appel

Les parties reprennent la contestation initiale, la société contestant devoir payer l’indemnité de protection et l’employée réclamant les deux indemnités.

Décision de la cour du travail

En ce qui concerne l’application de la loi du 4 août 1996 (telle que modifiée par les lois du 11 juin 2002 et 10 janvier 2007), la cour du travail rappelle que l’article 32tredecies, § 1er, fait interdiction à l’employeur, en cas de dépôt d’une plainte, de mettre fin à la relation de travail, sauf pour des motifs étrangers à celle-ci,

  • lorsqu’est déposée une plainte motivée au niveau de l’entreprise selon les procédures en vigueur,
  • lorsque la plainte est déposée auprès du fonctionnaire chargé de la surveillance du respect de la loi.

La cour relève que l’intéressée a, en l’occurrence, eu recours à ces deux modalités de dépôt. En ce qui concerne la plainte à déposer auprès du SPF, elle relève que le texte légal n’implique pas que cette plainte soit motivée. En l’espèce, elle l’est, cependant.

En ce qui concerne la protection découlant du dépôt de la plainte, l’arrêté royal du 17 mai 2007 relatif à la charge psychosociale occasionnée par le travail prévoit notamment (art. 27) que par plainte motivée il s’agit de viser un document daté et signé par le travailleur, document comprenant, outre la demande adressée à l’employeur de prendre les mesures appropriées pour mettre fin aux actes dénoncés, (i) la description précise des faits constitutifs de harcèlement aux yeux du travailleur, (ii) le moment et le lieu où ces faits se sont produits et (iii) l’identité de la personne en cause.

Examinant les éléments de l’espèce, étant le document remis au service externe de prévention et de protection au travail le 12 février 2008 (soit la veille du licenciement et environ trois semaines après l’entretien avec le conseiller en prévention), la cour retient cette date comme étant certaine, puisque ressortant à la fois de l’accusé de réception du service externe ainsi que du rapport du conseiller en prévention, suite à ce dépôt.

La cour constate également le respect de l’article 25 de l’arrêté royal, qui impose que, avant le dépôt de la plainte motivée auprès de la personne de confiance ou du conseiller en prévention, un entretien personnel doit avoir eu lieu avec l’une de ces personnes. Tel est bien le cas puisqu’un entretien s’est déroulé le 23 janvier 2008 et que celui-ci est confirmé par le conseiller en prévention lui-même.

Quant à l’autre plainte, la date de son dépôt est également confirmée par le SPF Emploi, Travail et Concertation qui fait en outre état d’une rencontre avec la plaignante, quelques jours avant celui-ci.

Les deux plaintes sont, dès lors, antérieures au licenciement, ce qui est dûment prouvé par l’intéressée.

La protection contre le licenciement prenant cours dès le dépôt de la plainte, l’employée bénéficie de celle-ci et il n’est nulle part exigé, pour que la protection entre en vigueur, que la plainte se trouve entre les mains du conseiller en prévention. En l’occurrence, celui-ci était en possession du formulaire et l’avait d’ailleurs signé, à l’issue de l’entretien du 23 janvier. Il avait également fait un rapport d’analyse mentionnant le premier contact téléphonique la veille de l’entretien ainsi que cet entretien organisé ce même 23 janvier.

La cour en vient, dès lors, à l’examen des motifs du licenciement, étant qu’il incombe à la banque d’établir qu’ils sont étrangers au dépôt de la plainte et, en outre, étrangers aux faits invoqués dans celle-ci, puisque, comme elle le rappelle très justement, la volonté du législateur est d’obliger les parties à mettre en mouvement un processus de conciliation.

Or, en l’espèce, la banque a signalé dans un courrier suite à la demande de réintégration qu’elle n’était pas avisée du dépôt de la plainte et que ceci justifiait à démontrer l’absence de lien avec son licenciement. Pour la cour du travail, cette manière de voir est une conception restrictive de la protection puisqu’elle s’analyserait en une protection contre un licenciement représailles. Or, tel n’est pas la portée de la protection légale, puisque le législateur a voulu interdire le licenciement lié aux faits repris dans la plainte.

L’employeur faisant état dans le document C4 d’une « incompatibilité d’humeur », la cour conclut assez rapidement qu’un tel motif n’est pas étranger aux faits pour lesquels l’employée se sent harcelée et qu’elle dénonce dans ses plaintes.

L’indemnité de protection est dès lors due.

Enfin, la cour confirme la position du premier juge, qui a considéré que les faits invoqués à l’appui de la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive se confondent avec ceux ayant justifié l’octroi de l’indemnité de protection. Elle relève en outre que, à supposer qu’il y ait incompatibilité d’humeur, le licenciement ne serait pas abusif.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprécise les conditions de dépôt de la plainte et l’ouverture du droit à la protection contre le licenciement. Il reprend les possibilités offertes par l’arrêté royal du 17 mai 2007, à propos des modalités de dépôt, et ce dans le respect du cadre général de prévention voulu par le législateur.


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