Terralaboris asbl

Un travail effectué pendant trois heures peut en lui-même constituer un événement soudain

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2011, R.G. 2009/AB/52.620

Mis en ligne le vendredi 18 novembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 10 octobre 2011, R.G. 2009/AB/52.620

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 octobre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, en matière d’accidents du travail, qu’un événement soudain peut être non instantané et que la lésion peut être de caractère évolutif. Ce sont les principes dégagés par la Cour de cassation.

Les faits

Un ouvrier bétonneur, occupé à travailler du béton, se redresse et ressent, soudainement, après trois heures de travail intense, un blocage et une douleur au dos. Il était occupé à bétonner une dalle, dans le cadre de l’exécution normale de son contrat de travail. S’étant arrêté immédiatement, il se rendit à l’hôpital et un lumbago fut diagnostiqué.

L’entreprise d’assurances refusa son intervention au motif que de tels faits n’entraient pas dans le champ d’application de la loi sur les accidents du travail, la lésion résultant de l’exécution, pendant un temps assez long, des mêmes mouvements. Elle considérait que le caractère soudain de l’événement faisait défaut et refusait, en conséquence, son intervention.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 8 septembre 2009, le tribunal du travail, saisi du recours de l’intéressé, le débouta au motif qu’il ne rapportait pas à suffisance la preuve d’un événement soudain.

Position des parties devant la cour

Dans le cadre des moyens soulevés, le travailleur rappelle qu’il n’est pas contesté qu’il s’est blessé dans le cadre de l’exécution du contrat de travail. Il y eut d’ailleurs un témoin. Il rappelle essentiellement l’arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2008 (S.07.0079.N), selon lequel la seule circonstance que le dommage de santé (lésion) soit apparu de manière évolutive pendant la durée d’un événement non instantané n’empêche pas que cet événement soit considéré comme soudain. Il précise également que l’événement soudain peut paradoxalement s’étaler sur un certain laps de temps, mais que son appréciation doit tenir compte du fait que le délai doit être raisonnablement confiné.

Il soulève également des arguments relatifs à la preuve de l’accident, étant que les éléments soumis au tribunal étaient de nature à apporter la preuve des faits et, à supposer que le juge ne s’estime pas suffisamment documenté, il considère que des mesures d’instruction devaient être ordonnées.

Quant à l’entreprise d’assurances, elle considère essentiellement que le fait de se blesser le dos en se relevant après avoir travaillé le béton ne contient pas l’élément de soudaineté requis par la loi. Elle précise en outre qu’il y a des contradictions dans les déclarations, l’explication donnée visant trois étapes différentes de la construction (le fait de vibrer le béton, de le ratisser et le fait de travailler avec une carotteuse).

La décision de la cour

La cour retient que, initialement, l’assureur-loi s’était fondé, pour motiver son refus, sur l’absence de caractère soudain de l’événement et que, en cours de procédure, il fait également valoir des contradictions dans les déclarations. Pour lui, il s’agirait essentiellement de prouver les actes professionnels posés au moment de l’accident : le fait d’avoir vibré et lissé le béton et le fait de se relever en tirant une carotteuse.

La cour retient, sur la base d’éléments de fait au dossier, qu’il ne s’agissait pas de contradictions à proprement parler, les éléments puisés par l’assureur-loi émanant de déclarations qui ne provenaient pas toutes de l’intéressé, mais notamment du Service de prévention, ainsi que d’un médecin consulté. Pour la cour, il n’est nullement déterminant de détailler les gestes posés avant que le travailleur ne sente la douleur en se redressant au moment où il tirait un tuyau, dans la mesure où il est établi qu’il se trouvait dans une situation où il avait accompli un effort pendant trois heures en travaillant le béton. C’est à ce moment qu’il perçut des manifestations douloureuses et celles-ci avaient déjà même pu apparaître au cours des trois heures en cause.

La Cour de cassation a réglé cette question, comme le rappelle la cour du travail, en précisant que la seule circonstance que le dommage soit apparu de manière évolutive pendant la durée d’un événement non instantané n’empêche pas que cet événement soit considéré comme soudain.

Pour la cour du travail, c’est donc à tort que l’assureur-loi, après avoir vainement contesté la réalité de l’accident, vu de prétendues déclarations contradictoires, estime qu’il n’y a pas soudaineté. La cour précise qu’il confond manifestement soudaineté et instantanéité ou immédiateté.

Les éléments constitutifs de l’accident sont bien présents en l’espèce, d’autant que la lésion a été immédiatement diagnostiquée.

La cour désigne dès lors un expert aux fins de donner un avis sur les séquelles de l’accident.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation auquel il est fait référence, soit celui rendu en date du 28 avril 2008, est un arrêt important, puisqu’il a permis, à l’occasion de faits relatifs à un travail effectué pendant cinq heures dans une pause inconfortable, de considérer que le dommage, c’est-à-dire la lésion, peut être apparu de manière évolutive (il s’agissait en l’espèce d’un flegmon), se développant ainsi pendant la durée d’un événement non instantané. L’événement qui s’est effectivement déroulé sur plusieurs heures peut donner lieu à une lésion de nature évolutive, ce que la cour du travail considère présent en l’espèce : le travailleur a effectué diverses tâches en vue de faire un travail de dallage en béton. Le tout a duré trois heures. Il a posé divers gestes et effectué diverses tâches au cours de cette période de temps. La douleur qui apparaît à un moment donné peut résulter de l’événement soudain, qui consiste en l’espèce dans cet ensemble d’efforts soutenus effectués pendant cette période de temps. Les arguments de l’assureur-loi quant à une définition précise du geste qui aurait donné lieu à la lésion sont surannés, la jurisprudence de la Cour Suprême ci-dessus devant manifestement permettre d’éviter ce type de débats.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be