Terralaboris asbl

Agence FEDASIL et Charte de l’assuré social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 octobre 2011, R.G. 2010/AB/638

Mis en ligne le vendredi 18 novembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 12 octobre 2011, R.G. n° 2010/AB/638

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 octobre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’Agence FEDASIL est une institution de sécurité sociale et qu’elle est tenue, outre à la motivation des décisions prises notamment eu égard à une saturation du réseau, de satisfaire aux obligations de la Charte en réorientant le demandeur vers l’institution compétente.

Les faits

Un candidat réfugié politique est inscrit administrativement à l’Office des étrangers à partir du 15 mars 2010. Il ne se voit pas désigner de centre d’accueil par FEDASIL, qui invoque la saturation du réseau. Il lui est signalé qu’il peut bénéficier d’une aide sociale à charge du CPAS de la commune où il est inscrit au registre d’attente ou au registre des étrangers.

Un recours est introduit par l’intéressé contre FEDASIL à titre principal et le CPAS à titre subsidiaire. L’Etat belge est appelé en garantie par le CPAS.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles accueille l’action telle que mue contre FEDASIL, par jugement du 28 mai 2010. Il annule la décision qui a refusé de désigner un lieu obligatoire d’inscription et condamne l’organisme à payer des dommages et intérêts correspondant à l’aide sociale équivalant au revenu d’intégration au taux isolé depuis la date du 15 mars 2010, et ce tant qu’un lieu obligatoire d’inscription n’aura pas été désigné.

Le tribunal assortit le jugement de l’exécution provisoire.

Décision de la cour du travail

La cour est essentiellement saisie de l’appel de FEDASIL en ce qui concerne sa condamnation à des dommages et intérêts.

La cour rappelle que, en vertu de la directive n° 2003/9 du Conseil du 27 janvier 2003, des normes minimales sont fixées pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres de l’Union européenne et que ceux-ci doivent prendre des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour leur santé ainsi que d’assurer leur subsistance.

Elle renvoie également à l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, qui garantit le droit à l’aide sociale à quiconque, droit également contenu dans l’article 23 de la Constitution.

S’il existe, en exécution de l’article 57, § 2, alinéa 4 de la loi du 8 juillet 1976, un régime particulier pour les personnes en séjour illégal, un demandeur d’asile n’est pas visé par cette disposition et, par conséquent, celui-ci a droit à l’aide sociale.

Les modalités de celle-ci sont contenues à l’article 57ter de la loi, tel qu’il a été modifié par la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile. Cette disposition vise le cas de l’inscription dans un lieu obligatoire et le rôle de la structure d’accueil, ainsi que les règles d’articulation entre l’intervention de l’Agence et celle du CPAS.

Il en découle que, si le demandeur d’asile s’est vu désigner un centre d’accueil comme lieu obligatoire d’inscription, il ne peut s’adresser au CPAS normalement compétent, l’aide étant une aide matérielle accordée au sein du centre d’accueil.

Le législateur a imposé à FEDASIL une obligation de désigner un lieu obligatoire d’inscription, permettant de déterminer l’autorité qui va prendre en charge l’accueil dont bénéficie le demandeur d’asile. Des dérogations sont prévues à cette obligation dans des circonstances particulières. Le lieu doit être adapté au bénéficiaire dans les limites des places disponibles et des critères sont donnés dans l’appréciation du caractère adapté du lieu.

En ce qui concerne les circonstances exceptionnelles, l’arrêt relève que le Conseil des ministres n’a pas adopté la décision qui permettrait à FEDASIL de faire usage de la possibilité qui lui est offerte de modifier le lieu obligatoire d’inscription soit pour désigner un centre public d’action sociale, soit encore pour désigner un tel centre comme lieu obligatoire d’inscription, le législateur ayant entendu que l’on procède à une répartition harmonieuse entre les communes.

La question ainsi posée, par la cour, est celle de l’existence d’une saturation du réseau d’accueil et celle-ci de relever que

  • soit - comme le plaide l’Agence - la saturation peut toujours constituer une circonstance particulière de sorte que, sous réserve du contrôle de son effectivité, la saturation peut justifier une absence de désignation,
  • soit en cas de saturation - comme le soutient le CPAS - la possibilité existant de désigner un CPAS dans le cadre d’un plan de répartition fait que cette situation ne peut plus être une circonstance particulière permettant à l’Agence de déroger à l’obligation de désigner un lieu obligatoire d’inscription.

Après avoir repris les développements contenus dans les travaux préparatoires de la loi du 2 janvier 2007, la cour conclut que l’absence de places disponibles peut constituer un motif valable de non-désignation. La loi du 30 décembre 2009, qui a également examiné la question des circonstances particulières, a mis en place une alternative supplémentaire à la désignation d’un centre d’accueil. Le législateur n’a pas ici voulu, pour la cour, supprimer la possibilité existant auparavant. En conséquence, il ne résulte pas de l’économie générale de la loi que l’aide matérielle en centre d’accueil doit être privilégiée dans tous les cas. En conclusion, FEDASIL pouvait prendre une décision de non-désignation, sous réserve de la vérification de la réalité de la saturation invoquée ainsi que des autres obligations incombant à l’Agence.

La cour procède, ensuite, à l’examen de la justification de la décision de non-désignation et constate que le demandeur plaide que celle-ci n’est pas régulièrement motivée, la preuve de la saturation n’étant pas rapportée. En outre, celui-ci se fonde sur la Charte de l’assuré social pour conclure que la mise en œuvre de la décision de non-désignation ne respecte pas la loi, non plus que les principes de bonne administration.

La cour rappelle ici que, étant une autorité administrative, l’Agence FEDASIL doit respecter la loi du 19 juillet 1991 sur la motivation des actes administratifs. Elle constate l’absence de motivation régulière, aucun élément de fait n’étant contenu dans la décision, permettant de vérifier l’existence de la saturation invoquée et le fait que celle-ci était de nature à justifier une non-désignation. La cour considère que le fait d’évoquer des « circonstances particulières » constitue l’exercice d’une compétence liée et renvoie ici à sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 28 juillet 2011, RG n° 2010/AB/00635) vu qu’il s’agit de mettre en œuvre le droit à l’accueil garanti par divers textes légaux. En cas de nullité de la décision, le juge a un pouvoir de substitution de l’appréciation faite et il peut se prononcer sur les conditions d’octroi ainsi que sur les modalités du droit à l’accueil.

Elle poursuit, en examinant les éléments donnés par l’Agence, étant des données chiffrées - dont elle considère qu’elles ne sont pas démontrées, et ce ni par le rapport d’activité ni les statistiques globales ni l’évolution du nombre de demandeurs d’asile, non plus que par les extraits de presse déposés par l’Agence, ni d’autres éléments encore produits.

L’ensemble de ceci n’est pas de nature à établir les circonstances particulières existant à la date de la demande. Il y a dès lors faute dans le chef de l’Agence, qui, ne justifiant pas du bien-fondé de la décision de non-désignation, a dès lors commis une faute en n’accordant pas l’accueil dans les conditions légales.

La cour va encore relever une autre faute, dans la mise en œuvre de la décision. Elle relève en effet que l’Agence est soumise à la Charte de l’assuré social. Elle rappelle l’article 3 de celle-ci, selon lequel les institutions de sécurité sociale sont tenues de communiquer d’initiative à l’assuré social tout complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits, obligation qui n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait préalablement demandé par écrit une information concernant ceux-ci. C’est la jurisprudence récente de la Cour de cassation (la cour renvoie ici à Cass., 23 novembre 2009, S.07.0115.F).

Il faut une certaine pro-activité, dans le chef des institutions de sécurité sociale lorsqu’elles instruisent une demande d’octroi de prestation et l’obligation d’information doit dans ce contexte être mise en lien à la fois avec l’article 6 de la Charte (qui contient l’obligation d’utiliser un langage compréhensible) et avec l’article 9 (qui impose à une institution de sécurité sociale qui s’estime incompétente de transmettre sans délai la demande à l’institution qu’elle estime compétente et qui contient également une obligation d’information de l’assuré social).

La décision en cause s’étant bornée à inviter l’intéressé à s’adresser au CPAS de la commune où il était inscrit au registre d’attente ou au registre des étrangers, elle ne pouvait permettre à celui-ci de savoir où il devait s’adresser. Il y a absence d’information compréhensible et manquement à l’obligation d’information.

Il en découle, pour la cour, que l’Agence a manqué à ses obligations en n’accordant pas une place d’accueil et que, même si la preuve de la saturation avait été rapportée – ce qui n’est pas le cas –, la décision de non-désignation aurait été fautive vu l’absence d’obligation d’information et de réorientation. En ce qui concerne le dommage, la cour confirme le jugement, qui s’est référé au montant du revenu d’intégration : c’est en effet ce montant qui, en l’absence d’aide matérielle, est nécessaire pour vivre conformément à a dignité humaine.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est déterminant, en ce qui concerne l’analyse des obligations de l’Agence FEDASIL et également l’obligation pour elle de respecter, comme toute institution de sécurité sociale, les obligations de la Charte. La cour a relevé que l’Agence est également tenue, en tant qu’autorité administrative, au respect des obligations, en matière de motivation, reprises dans la loi du 19 juillet 1991.


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