Terralaboris asbl

Un choc psychologique survenu suite à un entretien avec un supérieur est-il constitutif d’accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 25 mai 2011, R.G. 2010/AM/181

Mis en ligne le mardi 25 octobre 2011


Cour du travail de Mons, 25 mai 2011, R.G. n° 2010/AM/181

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 25 mai 2011, la Cour du travail de Mons rappelle les principes en matière d’événement soudain : si est prouvée l’existence certaine d’un choc psychologique, il peut y avoir accident du travail.

Les faits

Un fonctionnaire introduit auprès du service compétent du SPF qui l’occupe une déclaration d’accident du travail, faisant état, de manière détaillée, des circonstances et causes matérielles d’un accident du travail. Il précise, ultérieurement, à la demande de ce service les faits (survenus lors d’un entretien avec son supérieur régional) comme suit : confirmation de la fouille de son bureau quelques jours auparavant, convocation à une audition préalable reprenant une série de faits reprochés, confirmation par le directeur du retrait d’une partie de ses compétences (pour ne lui laisser qu’une tâche dénuée d’intérêt), confirmation d’un projet de le déplacer vers la capitale « dans l’intérêt du service » et confirmation également de ce que l’on avait copié son agenda privé.

Dans un premier temps, la direction des Affaires générales – Accidents du SPF accepte l’accident, précisant, à l’intention du MEDEX que, sauf avis médical contraire et sauf si les faits relatés n’étaient pas conformes à la réalité, la décision prise est définitive.

Plus de deux ans plus tard, le même service prend une nouvelle décision annulant et remplaçant la précédente. Cette décision se fonde sur des éléments nouveaux apportés par l’administration qui occupe le fonctionnaire. Est reprochée l’absence d’une cause extérieure (« élément essentiel pour maintenir la qualification juridique d’accident du travail »). La décision poursuit que l’élément mis en exergue par le fonctionnaire est la remise d’une convocation à comparaître dans le cadre d’une procédure disciplinaire entamée à son encontre. Or, ceci est la procédure réglementaire et ne peut être constitutif d’un accident du travail.

L’intéressé saisit le tribunal du travail de Charleroi.

Décision du tribunal du travail

Dans un premier jugement du 25 avril 2007, le Tribunal du travail de Charleroi autorise le demandeur à établir un fait coté, étant que lorsqu’il est arrivé au travail, ce jour déterminé, il a été convoqué par son directeur régional et a été informé (i) de la fouille de son bureau, (ii) du retrait de la direction d’une section déterminée, (iii) de l’obligation de venir en appui informatique à ses collègues, (iv) de son déplacement dans l’intérêt du service et (v) de l’intentement d’une procédure disciplinaire.

Après avoir entendu les témoins, le Tribunal du travail de Charleroi a considéré par jugement du 21 octobre 2009 qu’il y avait accident du travail et a désigné un expert. C’est ce second jugement qui est entrepris.

Position des parties en appel

Le SPF fait valoir essentiellement, sur la décision de déplacement et la peine disciplinaire, que celles-ci ont été avalisées dans le cadre de la procédure disciplinaire et que les éléments invoqués pour la journée où l’accident du travail est situé ne sont pas établis.

L’intimé fait quant à lui un appel incident, demandant notamment de considérer la seconde décision (qui a retiré la première) illégale, notamment en vertu des principes relatifs au retrait des actes administratifs. Il plaide en outre que les éléments de la procédure disciplinaire, intervenue après l’accident, sont sans incidence sur l’existence de celui-ci.

Décision de la cour du travail

La cour du travail fait grief à l’intimé de soulever devant elle l’argument tiré de l’illégalité de la seconde décision, et ce au motif que la question a été réglée par le tribunal du travail dans son premier jugement (25 avril 2007), où il avait rappelé, se fondant sur le caractère d’ordre public de la loi, qu’aucune reconnaissance d’un accident du travail ne peut s’imposer au juge, celui-ci devant examiner si les conditions légales sont réunies. Le tribunal y avait jugé – et sa décision ne fait pas l’objet de l’appel – que les décisions du SPF ne s’imposent pas ipso facto au pouvoir judiciaire. En conséquence, la prise en charge par l’assureur-loi d’indemnités d’incapacité ne préjuge pas nécessairement ni de la réalité de l’accident ni de sa nature ni encore de ses conséquences. Il en découle qu’une reconnaissance antérieure de l’existence d’un accident ne lie pas l’assureur loi (ou l’employeur dans le secteur public), l’aveu ne pouvant porter sur les choses dont la loi ne permet pas de disposer ou sur lesquelles il est interdit de transiger.

La cour précise dès lors que sa saisine est limitée à la question de savoir si les conditions sont réunies pour qu’il y ait accident du travail.

Après avoir relevé que l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967 contient la même définition que l’article 9 de la loi du 10 avril 1971, la cour rappelle les principes en matière d’événement soudain, étant essentiellement que celui-ci peut consister dans l’exercice habituel et normal de la tâche journalière à la condition que puisse y être décelé un élément qui a pu produire la lésion, élément qui ne doit pas se distinguer de l’exécution. Par ailleurs, la cour rappelle que l’événement soudain ne se confond ni avec la cause extérieure ni avec la manifestation de la lésion. En l’espèce, elle estime, avec le Ministère public, qu’il y a eu un choc psychologique, subi le jour en question, lors de la prise de connaissance des éléments repris ci-dessus. Les enquêtes ont en effet permis d’établir l’état d’émoi et de perturbation de l’intéressé, apprenant sa dégradation, la fouille de son bureau ainsi que l’intentement d’une procédure disciplinaire avec transfert à Bruxelles. Pour la cour, ces éléments suffisent en tant que fait épinglé, susceptible de produire une lésion.

Répondant à un argument du SPF selon lequel son fonctionnaire ne devait pas s’étonner de l’intentement de la procédure, vu qu’il s’agissait d’une procédure disciplinaire « classique », la cour rappelle que « soudaineté » ne signifie pas « imprévisibilité ». Par ailleurs, les éléments de fond dégagés dans le cadre de la procédure disciplinaire ainsi que les décisions prises dans le cadre de celle-ci sont sans incidence, tout risque étant couvert par la loi, même s’il y a eu comportement imprudent ou même faute de l’intéressé. Seule est exclue la faute intentionnelle.

Constatant, enfin, l’existence d’une dépression anxieuse réactionnelle ayant entraîné une incapacité de travail, la cour constate qu’il y a eu un accident et que celui-ci s’est produit au temps et lieu de l’exécution du travail, ensuite de quoi la présomption de causalité doit jouer.

La cour confirme ainsi le jugement et renvoie l’affaire au tribunal, afin que l’expertise se poursuive.

Intérêt de la décision

L’événement soudain pointé par la victime, dans cette espèce, est un choc psychologique survenu suite à un entretien au cours duquel ont été révélés des mesures de contrôle inopinées ainsi que l’intentement d’une procédure disciplinaire. Très logiquement, la cour du travail retient que, dès lors que le choc psychologique invoqué est établi, il peut être retenu, peu importe le contexte dans lequel il est intervenu et même si c’est le comportement de l’intéressé qui est à l’origine des décisions prises par sa hiérarchie (le bien-fondé des mesures en cause étant un élément tout à fait indifférent).


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